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Chagall, un si long cheminement biblique…

L’exposition actuelle De la Chapelle au musée, la création du Message Biblique, présentée jusqu’au 15 octobre au Musée National Marc Chagall, nous fait remonter aux sources de la sensibilisation de Marc Chagall aux thèmes bibliques, aux œuvres préparatoires et étapes de création qui annoncent les grandes peintures architecturales que Chagall destinera à la Chapelle du calvaire à Vence où il vit. Avec des écrits et archives peu connus, nous suivons les remous et polémiques occasionnés par ce choix, jusqu’à la construction d’un musée national à Nice inauguré par André Malraux.

Chagall est né en 1867 dans un quartier juif de Vitebsk en Biélorussie actuelle. Une œuvre de jeunesse La Sainte famille, ouvre l’exposition, toile aux couleurs sombres, les personnages bibliques sont présentés, adaptés à la vie des habitants de Vitebsk, dans une isba. Elle marque la forte empreinte des rites et des textes bibliques dans la vie du jeune artiste. Suit une gouache Joseph berger, 1931 puis une céramique Joseph berger 1951, acquisition récente du musée. L’exposition se poursuit avec de belles gouaches, délicates et restaurées, des gravures, destinées à d’illustration de la Bible commandée par l’éditeur Ambroise Vallard. Des scènes de vie, des compositions à découvrir, toutefois la réalisation des gravures s’étendra sur plus d’une vingtaine d’années, de Vollard décédé à Tériade. Le travail gagne en couleurs sous l’influence des peintres fauvistes, certaines gouaches sont présentées d’une manière didactique, avec leurs plaques de gravures en cuivre et les gravures. Enfin terminée en 1956, la belle revue Verve de Tériade, publie 105 gravures avec des lithographies en couleurs, ainsi que Bible un peu plus tard avec l’ensemble des gravures et des extraits des Saintes écritures, les deux ouvrages sont présentés sous vitrine.

Dans la salle donnant sur la mosaïque extérieure, trois des cinq grandes peintures réalisées dès 1950 sont exposées. Leur composition est proche de celle des gravures, les fondateurs de la Bible, Abraham, Moise et le roi David apparaissent, leurs grandes tailles enfin annoncent les peintures architecturales futures du Message Biblique. Signalons la Traversée de la mer rouge, fraichement restaurée. L’après-guerre est époque du renouveau de l’art sacré, les artistes désirent participer à ce mouvement de paix. Henri Matisse réalise la Chapelle du Rosaire inaugurée en 1951, Picasso la même année, transforme une chapelle romane à Vallauris en Temple de la paix. Au plateau d’Assy, l’église Notre-Dame -de-toute- Grâce fait appel aux plus grands artistes, Chagall réalise la décoration du baptistère des sculptures, vitraux et céramiques et désire lui aussi trouver un lieu de recueillement avec ses peintures.

Parcours de l’exposition avec Johanne Lindskog, conservatrice du patrimoine au musée Marc Chagall.

Nous accédons à la seconde partie de l’exposition : la présentation de la chapelle du calvaire choisie par Chagall, occupée par un chemin de croix avec des personnages, une cinquantaine de sculptures de grandeur humaine. Des extraits de presse, archives, courriers officiels à lire minutieusement, évoquent les querelles concernant l’accueil ou non des peintures de Marc Chagall dans ce lieu. Des maquettes, des projets d’installation et d’adaptation, des études de vitraux pour cette chapelle sont présentés ici, mais le projet n’aboutira pas, et les sculptures de la chapelle seront classées Monuments historiques. Les pérégrinations du message biblique se poursuivent… A cette époque, André Malraux, ministre de la culture, commence à développer une politique de commandes aux grands artistes du XX ième siècle et d’intégration aux monuments historiques, politique aussi de décentralisation de musée en province. Les donations faites par Marc et Valentina Chagall de la totalité des tableaux à l’Etat français, des esquisses du Message Biblique, des sculptures, gravures et livres illustrés vont favoriser un projet d’architecture pour les accueillir. Nice qui a soutenu Marc Chagall, lui a organisé plusieurs expositions, sera la ville choisie. Le musée ouvrira ses portes le 7 juillet 1973, jour anniversaire de Marc Chagall. L’exposition nous fait accéder aux travaux et recherches qui en accompagnent la réalisation. L’architecture contemporaine et intemporelle du musée résulte de l’étroite collaboration entre l’architecte André Hermant et Marc Chagall, de leur respect mutuel, nécessitant de nombreuses modifications.

Chagall a particulièrement travaillé à la création d’une mosaïque se reflétant dans un bassin. Le prophète Elie enlevé au ciel dans un char de feu, entouré des signes du zodiaque dans la lumière de la Méditerranée. Une vision cosmique.

Très amateur de musique, il a aussi porté une attention particulière à la réalisation des merveilleux vitraux de la salle de concerts où les arts visuels, le spectacle et la musique se rencontrent, de même qu’à la tapisserie des Gobelins placée juste en final. Marc Chagall explique et conclura ainsi sa donation : Pourtant j’ai été aussi ému en voyageant dans d’autres pays…Je suis né dans une petite ville de Russie, mais c’est en France que j’ai tout reçu, tout ce qui me touche… le domaine des couleurs…que j’ai pressenti la profondeur de ce message biblique et cela absolument hors de toutes orthodoxies. Ce bel et intéressant parcours proposé par les commissaires de l’exposition, Anne Dopffer et Johanne Lindskog, incite à voir et revoir la totalité de l’œuvre.

Brigitte Chéry le 21 mai 2018

Photo Copyright Béatrice Heyligers