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ANTHÉA – JUSTICE De Samantha Markovic

Trois femmes se partagent tous les rôles, et enchaînent à toute allure une multitude de personnages, hommes ou femmes, changeant de registre dans l’immédiateté avec un talent et une habilité impeccables. Une véritable performance d’acteur ! Camille Chamoux, Camille Cottin et Samantha Markovic sont les trois interprètes féminines de Justice, pièce écrite par Samantha Markovic et mise en scène par Salomé Lelouch, dans un beau et astucieux décor (signé Emmanuel Charles) qui suggère d’illusoires accumulations de dossiers. Le public est aussitôt projeté dans des situations de comparution immédiate où la « justice » doit se prononcer très vite. Quoique basés sur des faits réels, des cas improbables sont présentés. Parfois tellement absurdes qu’ils amusent le public, ou parfois, au contraire, le font réagir avec réprobation, face au racisme par exemple. Mais la légèreté revient toujours pour entraîner des rires qui fusent malgré l’austérité du sujet traité.

Pour la première comparution immédiate présentée, il s’agit du vol d’une robe de soirée, de chaussures et de produits de maquillage. La voleuse a beau tenter de pleurer misère, il est difficile de la plaindre. Cela s’enchaîne avec un drogué un peu dealer, puis un conducteur trop alcoolisé, jusqu’aux homicides et ainsi de suite…. Chacun enrage du jugement rendu, de la peine requise. Mais, sans complexe, le spectateur y prend bien du plaisir. Dans un tempo impeccable, les actrices s’accordent à merveille avec une grande complicité et une réelle énergie qui circulent entre elles trois. À travers leurs corps, leurs gestes, leurs silences, le formidable trio fait circuler le spectateur dans les méandres de la justice telle qu’elle est appliquée actuellement. Sans costumes spécifiques pour chaque personnage, juste vêtues de pulls et pantalons gris, les comédiennes restent identiques, mais elles font passer leur changement d’identité par leur jeu, leurs gestes, leurs intonations, et cela fonctionne parfaitement. Le spectateur ne s’égare pas et suit parfaitement le fil qui le guide dans ce labyrinthe de situations souvent absurdes et parfois tragiques de cette justice rapide, ou plutôt expéditive. Les trois comédiennes incarnent quantité de personnages dans des situations variées : la riche voleuse, le loubard drogué, le criminel, mais aussi l’avocat, le juge, le Procureur de la République, tous les représentants de la justice. Parmi les coupables, il y a ceux qui savent qu’ils sont en faute, ceux qui le nient, ceux qui naïvement ne voient aucun mal à leurs actes. Jamais alambiqué, ni opaque, le parcours incite à réfléchir sur les aléas d’un jugement. La mise en scène inventive place le public au coeur de cette justice que les comédiennes incarnent à merveille. Le jeu subtil de Camille Chamoux complète l’abattage de Camille Cottin et l’intensité de Samantha Markovic. Celle-ci ayant été confrontée à deux reprises à la Justice, a voulu transmettre son expérience face à une absurdité qu’elle a ainsi découverte et régler ses comptes avec l’appareil judiciaire. La jeune auteure (et comédienne !) a su s’immiscer au coeur de la fonction juridique qu’elle fait résonner sur scène avec justesse. Elle décrit à merveille les tensions et les malentendus entre l’individu et l’institution juridique. Si le spectacle se termine sur l’exclamation « Affaire suivante ! », on a envie de leur crier « Pièce suivante !», tant on espère vite une nouvelle soirée en leur compagnie ! Caroline Boudet-Lefort

Justice © Victor Tonelli