GRUPO CORPO – Palais des Festivals de Cannes
Fondée en 1975, du côté de Belo Horizonte, la Compagnie Grupo Corpo a été créée à partir de rien par deux frères, Paulo et Rodrigo Pederneiras, et s’est élargie à la famille et aux amis, telle la costumière Freusa Zechmeister, fidèle depuis 1981. Emblématique de l’évolution de la danse contemporaine au Brésil, quoique à distance de Rio, la compagnie a vite acquis une célébrité internationale pour ses qualités techniques et sa précision qui s’ajoutent à son merveilleux. Accueillie pour la première fois à Cannes en 2015, la Compagnie est revenue, pour une unique soirée le 17 novembre, avec deux ballets « Dança sinfônica » et « Gira », leur plus récente création.

Spécialement composée pour leurs ballets, la place donnée à la musique est aussi importante que celle de la danse. Elle arrive en premier, ensuite les pas viennent s’accorder aux notes, car Rodrigo Pederneiras supervise la création musicale en imaginant déjà la conception chorégraphique du ballet. En 2015, pour célébrer les 40 ans de la Compagnie, il a chorégraphié « Dança Sinfônica » en hommage à toutes les personnes ayant travaillé dans la Compagnie Grupo Corpo durant vingt-trois années.

Le point de départ de cette pièce est donc chargé de souvenirs pour raconter tant la vie quotidienne de la compagnie artistique que de revisiter les meilleures oeuvres chorégraphiées durant tout ce temps. Ainsi, il crée des liens entre les souvenirs qui, tableaux après tableaux, ne se détachent pas les uns des autres, mais s’enchaînent dans le cheminement de la mémoire. La trace émouvante du temps qui passe est appuyée par la musique de Marco Antônio Guimaraes. Il n’y a pas de voile de tristesse mais une joie, une énergie et un enviable dynamisme juvénile. Aidé par une musique très diversifiée quoique homogène, le chorégraphe semble doué pour créer des échos avec de futurs souvenirs et une beauté à portée de la main mais hors du temps. Cette musique semble soulever les danseurs de terre, en traduisant les variations laissées par le temps de manière physique, sensorielle, tandis que la couleur rouge explose dans des solos, des duos et toutes formes où les danseurs se séparent et se retrouvent pour présenter une compagnie soudée malgré un jeu incessant d’union et de dispersion.

C’est sur la musique de Méta Méta que « Gira », leur plus récente création, voit le jour. Comme le chorégraphe, le compositeur s’est inspiré des rituels du Candomblé, une religion afro-brésilienne basée sur le catholicisme mêlée à d’ancestrales croyances africaines. Cependant, chacun a laissé libre cours à sa propre inspiration artistique, tout en respectant les caractéristiques de la tradition et en recherchant des sons d’autrefois avec des instruments d’aujourd’hui. La danse, à la fois fluide et frénétique, possède une liberté de ton réjouissante. Les images et les symboles s’accordent dans une représentation des plus esthétiques, pleine de sentiments exacerbés qui provoquent d’intenses émotions. On se laisse emporter par cette danse furieusement entraînante et bouleversante, où hommes et femmes portent de longues jupes blanches virevoltantes. La singularité et la poésie de l’oeuvre s’accordent parfaitement avec les rituels religieux et magiques qui ont traversé des temps immémoriaux.

Avec 21 interprètes dont la technique est exemplaire, ces deux pièces ne se résument pas ne se décrivent pas, elles se voient et s’écoutent en se laissant séduire par leur rythme endiablé et leur merveilleuse diversité. Lors de l’unique soirée du Grupo Corpo à Cannes, le public du Palais des Festivals était, visiblement, totalement conquis !
Caroline Boudet-Lefort