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La dame aux camélias

Imaginez qu’il soit possible de remonter le cours du temps, de racheter une faute et changer la fin. Alexandre Dumas fils s’est offert cette possibilité avec sa Dame aux camélias. D’un roman âpre et cru inspiré de son histoire d’amour avec la courtisane Marie Duplessis et jetant un regard critique sur la société de l’époque, notamment la prostitution, il a tiré une pièce de théâtre au ton plus lisse centrant le récit autour de l’histoire d’amour. Censure de l’époque oblige mais pas seulement, on peut penser qu’il voulait aussi se racheter une conscience après avoir abandonné son amante à une mort solitaire et dans le dénuement et lui offre alors un trépas dans ses bras. De la réalité il aurait inventé un pieux mensonge. De ce qui a été, il a écrit ce qui aurait pu être. Arthur Nauzyciel s’est emparé de ces deux textes pour monter SA Dame aux camélias s’attachant à en souligner les différences plus que les similitudes, ne gommant pas l’aspect social du texte original. L’utilisation de passages vidéo, projetés en fond de scène, apporte une dimension supplémentaire. Réalité ou illusion le metteur en scène multiplie les strates, les vérités. La scénographie n’est d’ailleurs pas en reste avec un ‘levé de rideau’ sur un voilage écarlate et transparent en avant-scène. Première seconde de la pièce et déjà un premier filtre.

Marguerite Gautier est devant celui-ci, face public, sculpturale dans une longue robe blanche et fluide. Elle raconte sa fin désormais proche et l’abandon de son amant Armand Duval. Une voix off prend le relais alors que la comédienne passe derrière ce voile rouge sang rejoindre une sorte de bordel-purgatoire peuplé de corps nus. Le narrateur lit le roman qui débute après la mort de Marguerite et le fil d’être déroulé à plusieurs voix. Un fil qui sera étiré au maximum en un spectacle fleuve. La scénographie évoluera en écho avec le récit. En effet, quand Marguerite vend toutes ses possessions pour se payer le luxe de cette histoire d’amour avec Armand c’est aussi le plateau qui se remplit de vide, murs y compris, mettant en exergue la fin d’une vie de futilités au profit de ce cœur vibrant d’amour qui la ramène à l’essentiel. Puis, quand le père d’Armand vient lui demander de renoncer à cet amour pour l’honneur de sa fille à marier, c’est alors le plafond capitonné qui s’abaisse réduisant ainsi son espace vital, l’air autour d’elle. Elle retrouve les fastes de son ancienne vie mais l’asphyxie la guette désormais. Asphyxie reprise en écho par un chœur de corps à côté d’elle. Respirer est devenu un effort douloureux pour celle qui a prédit que ce sacrifice d’amour la tuerait. Pourtant point de victimisation. Marguerite affronte ce destin contrarié en tragédienne. La vie, son sang qui n’a plus de raison de faire battre ce cœur, la quittent mais dans la dignité. Elle est consciente que de son absence de rang, de famille, de position sociale sa vie ne vaut rien aux yeux de la société et la ‘grande horizontale’ accepte et assume le rôle qui lui est maintenant assigné. De fait, la majorité de la pièce est jouée, face public et peu avant sa fin la vidéo affiche un gros plan fixe du visage de Marguerite sur le mur en fond de scène. Elle ne se dérobe point. Arthur Nauzyciel livre une fascinante Dame aux camélias. Les passages du roman, à la pièce, à la vidéo avec la multiplication des points de vue qu’ils apportent éclairent d’une nouvelle lumière le destin tragique de la demi-mondaine sacrifiée sur l’autel de la bienséance d’une société qui a choisi d’oublier qu’elle a aussi créé son personnage de toutes pièces.

Par Carine Filloux

La dame aux camélias

D’après le roman et la pièce de théâtre d’Alexandre Dumas fils

Adaptation Valérie Mréjen, Arthur Nauzyciel et Pierre-Alain Giraud

Mise en scène Arthur Nauzyciel

Avec Pierre Baux, Océane Caïraty, Pascal Cervo, Guillaume Costanza, Marie-Sophie Ferdane, Mounir Margoum, Joana Preiss et Hedi Zada

Assistant à la mise en scène Julien Derivaz

Scénographie Riccardo Hernandez

Réalisation, image et montage film Pierre-Alain Giraud

Durée : 2h55

Les 31 janvier et 1er février 2019 au Théâtre National de Nice – https://www.tnn.fr/fr/spectacles/saison-2018-2019/la-dame-aux-camelias

La dame aux camélias © Meryl Meisler