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BALLET PRELJOCAJ – « LA FRESQUE »

Quand on sort de La Fresque, on ne sait si on a vu une chorégraphie d’Angelin Preljocaj ou si l’on a fait un rêve. L’impression d’un univers onirique persiste longtemps après la fin du spectacle. Le chorégraphe a du y penser quand il a adapté en ballet un conte traditionnel chinois du XIIe siècle intitulé « La Peinture sur le mur ». S’abritant de la pluie, deux jeunes voyageurs entrent dans les ruines d’un temple où ils découvrent une fresque. L’un d’eux tombe amoureux d’une jeune fille peinte avec sa longue chevelure brune et, pour la rejoindre le temps d’une courte et heureuse rencontre, il pénètre dans l’oeuvre qui s’anime en mouvements lents. Il en sera chassé par les gardiens de cette fresque envoûtante et reviendra à sa vie « normale » les bras chargés de fleurs.

Ensemble robes -® Jean-Claude Carbonne

En jetant dix danseurs dans ce récit qui évoque le pouvoir surnaturel de l’art pictural, Preljocaj transforme ce conte en argument moderne proche du rêve et offre des envolées sur la puissance de l’art et de la représentation. En Asie, la mort n’est séparée de la vie que par un très léger voile. Les deux voyageurs adhèrent au sol avec fermeté, montrant qu’ils sont terriens, tandis qu’en opposition les moines ont une gestuelle fluide et aérienne. Quant aux jeunes filles, leurs mouvements sont alanguis et sensuels, avec leurs longues chevelures qui flottent comme des méduses, les transformant en apparitions fantomatiques. Cette chorégraphie présente une succession de tableaux inégaux avec successivement toutes les figures de la danse contemporaine, mêlant le merveilleux au surnaturel. Les cinq danseurs et les cinq danseuses sont de remarquables interprètes, en groupe, en solos et en duos d’une sensualité délicate. Les danseuses jouent avec leurs cheveux et s’entortillent autour de filins pour s’élever dans les airs. Dans une scène admirable, la plus belle, elles semblent suspendues par leur chevelure. De simples chevelures légères suffisent à une beauté débordante d’une grâce inouïe. A la fin, les cheveux attachés de la femme ont pour signification le mariage. Le voyageur séduit a-t-il été marié à sa belle ? A lui de le découvrir…

Saut -® Jean-Claude Carbonne

Dans cette chorégraphie poétique, chacun peut imaginer sa propre histoire. Celle que trace Préljocaj n’est qu’une merveilleuse trame pour laisser toute créativité à chacun. Ponctuée de percussions, la musique de Nicolas Godin souligne à la perfection le déroulé du conte. Très insolite, son rythme évoque parfois la frénésie de battements d’un coeur amoureux qui s’accélèrent. Azzedine Alaïa, couturier récemment disparu, a réalisé de magnifiques costumes. Dans un clair-obscur magique, les éclairages d’Eric Soyer ajoutent encore davantage à l’impression d’onirisme. De même que la vidéo de mèches de cheveux flottants et le décor de panneaux coulissants qui s’ouvrent et se ferment avec diverses focales (réalisation de Constance Guisset Studio).

Solo Yuri+® Tsugawa -® Jean-Claude Carbonne

La Fresque est venue pour une belle et unique soirée au Palais des Festivals de Cannes.

Caroline Boudet-Lefort