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ANTHÉA – LE BANQUET De Mathilda May

Dans la veine de l’hilarant « Open Space », déjà conçu et mis en scène par Mathilda May, « Le Banquet » est une pièce sans paroles dans laquelle les comédiens s’expriment par soliloques, onomatopées ou borborygmes. Et le public comprend tout ! La fête d’un mariage rassemble les familles avec leurs joies, leurs rancoeurs et leurs échecs. Car, au cours de cette soirée qu’elles sont obligées de passer ensemble, tout dérape dans une impeccable chorégraphie de désastres burlesques et déjantés. Dès la scène de la domestique, avant le lever de rideau et à son arrivée sur scène (faussement) ratée, on sait déjà qu’on ne cessera de rire.

Pour la soirée de fête, tout est prêt sous une grande tente de jardin afin de recevoir les invités – très joli décor – mais la tente a été plantée sur un terrain pentu et accidenté, d’où un cumul de déboires inimaginables. Les convives sont arrivés un à un dans des tenues invraisemblables au kitsch revendiqué de vêtements démodés avec des couleurs surannées. Chacun crie, vocifère, pérore, mais personne ne parle et d’ailleurs personne n’écouterait. Dans un banquet de mariage – ce moment de joie artificielle où le chaos côtoie l’euphorie de la fête – on boit, on rit, on pleure, on se console, on se rappelle des souvenirs ! Comme Mathilda May radicalise la réalité, elle présente les familles en train de se disloquer entre faux-semblants et inimitiés et, de plus, elle se moque des rites du mariage : qui attrapera le bouquet ? ou la jarretière ? La robe de la mariée se tâche beaucoup : on renverse, on saigne, on vomit… L’inévitable pièce montée d’où sort une jolie pépée évoque le gag du gâteau de « Certains l’aiment chaud » (un gangster en surgissait avec une mitraillette pétaradante). Le marié joue déjà au mari infidèle : il drague chaque femme provoquant un drame de la jalousie. Aussitôt la robe de la mariée s’enflamme…. Sur ce terrain mal foutu, on se prend les pieds dans le tapis de la vie : on glisse, on tombe, on se relève. Chacun y va de son numéro comique, chanson ou danse. Le père fait son discours long et rasoir et tout le monde s’endort. Une grosse dame cherche son chien, une autre son bébé… Un instant de poésie tandis que deux jeunes s’amusent en ombres chinoises avant que l’un ne devienne diable et l’autre sorcière. Un coup de foudre entre deux invités et voilà le temps suspendu : arrêt sur image comme dans un film. Plus tard viendra un autre coup de foudre, celui d’un inéluctable orage : la tente se décroche, la catastrophe est à son comble ! Les dix comédiens – mimes et acrobates – sont d’une grande précision de gestes, ils impulsent un tempo d’enfer sur scène, chantent, dansent et le spectacle devient parfois comédie musicale. Aucun dialogue, mais un travail précis sur le son et le rythme. De la musique et de la danse dans ce théâtre sans texte. Les gags se multiplient toujours plus inventifs. Parfois l’émotion gagne dans cette chorégraphie de déboires. On pense à Jacques Tati qui a fait la part belle aux gestes. Grâce au talent des tous les comédiens, les effets comiques les plus invraisemblables passent et le public s’accroche avec hilarité aux situations les plus abracadabrantes. Tout marche ! Mathilda May n’invente pas le sujet, mais se l’approprie en lui insufflant une inénarrable drôlerie ! On ne s’ennuie pas une seconde grâce à une mise en scène astucieuse et au jeu plein de spontanéité des comédiens. Le système Mathilda May est tout à fait en place. Hilarant, incisif et impertinent !

Caroline Boudet-Lefort

Le banquet – Mathilda May – Crédit photo Richard Shroeder