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Théâtre Toursky Poètes du Bitume

Soirée mémorable au Toursky où des artistes magnifiques ont cassé les codes et les conventions, les formes et les rythmes pour jongler avec les démons de leur créativité. Suscitant la ferveur et l’enthousiasme d’une salle survoltée, ils nous ont emporté à travers les saillies de leurs utopies.

Photo Candice Nguyen

Richard Martin, lance une première clameur poétique, une première flèche avec le retentissant Y en a marre de Léo Ferré qui propulse son cri contre l’insupportable et l’intolérable de toutes les injustices, celles des pouvoirs et des systèmes brutaux, arrogants et perfides. Il est des textes faits pour devenir la caisse de résonance de la poésie, c’est ce qui s’est produit durant cette soirée où la barre du talent a été hissée très haut. Qu’il s’agisse de Féloche et sa mandoline insensée qui bouscule et éperonne les poncifs et déménage les lieux communs avec ses colères acerbes, forgées dans un verbe âpre et rugueux ; ou qu’il s’agisse encore de Dooz Kawa et son complice Dah Conectah, impressionnants dans leur duo d’écriture scandée qui fait ricocher les mots en les heurtant les uns contre autres, tous étaient sur le même carré des pionniers du bitume, et tous disaient et chantaient le même espoir de changer les choses.

Photo Candice Nguyen

Cela laissait augurer de ce que pouvait penser et écrire Rimbaud, à l’époque où il rimait sur son morceau de bitume carolopolitain. Chacun à leur tour, ils ont chanté, rapé, fait vibrer les colorations textuelles et musicales de leur révolte. Au centre de la scène, l’orchestre de l’Académie de mandolines et de guitares de Marseille, dirigé par l’excellent Vincent Beer-Demander, rayonnait comme un chœur vibrant. La musique gonflait, affluait de toutes parts, inondant la scène et la traversant d’une déferlante d’accords qui se transformait en une union des fraternités. Comme l’âme de Rimbaud que chacun des protagonistes évoquait et attisait, cette soirée nous a fait comprendre l’intuition urgente d’un temps à refaire. Et tous brûlaient d’un désir de porter vers le public leurs indignations, et la soif de remettre à plat notre société malade, frappée d’égoïsme, pour redessiner l’ébauche d’un monde qui a bien besoin d’être réenchanté.

Photo Candice Nguyen

Pour clôturer ce spectacle, Richard Martin, a su donner force, vigueur et intensité aux textes de Léo Ferré, hissant les mots, les accompagnant de ses mains offertes, ouvertes, jusqu’à toucher ce ciel de voûte du Toursky, vers le peuple saltimbanque des fantômes qui éclaire l’âme de ce théâtre. Car ce sont eux qui nous permettent de tenir debout. La défaite du langage, c’était hier, ce qu’il nous faut aujourd’hui ce sont des cris d’alarme pour réveiller ce qui dort. Emporté à travers les cadences de la musique qui montaient vers un ciel joyeux, le chœur des enfants du CHAM du Conservatoire national à rayonnement régional de Marseille sous la direction au piano de Marie-Cécile Gautier, la voix de la chanteuse Eranik Ganantchian, tout cet ensemble appuyé par les mandolines et les guitares sillonnait la scène, ouvrant des fenêtres sur un vent de liesse porté par une jeunesse fervente, combative et enthousiaste. La mandoline solo de Vincent Beer-Demander, suivait les rythmes, s’accordait aux couleurs et aux sonorités du verbe, transfigurant l’image de tous ces poètes croisés l’espace d’un soir pour que cette mémoire du bitume reste à jamais gravée dans les esprits.

Photo Candice Nguyen

Avec le temps, le temps ne compte plus, si bien que ce spectacle eût pu se prolonger jusqu’au bout de la nuit. Le public debout a ovationné tous ces artistes unis en une inoubliable chaîne de fraternité.

Jean-Pierre CRAMOISAN