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VOUS N’AUREZ PAS MA HAINE D’après le récit d’Antoine Leiris, dit par Raphaël Personnaz

Sur la scène du TNN, Raphaël Personnaz dit le court récit qu’Antoine Leiris a écrit juste après l’attentat du 13 novembre 2015 au Bataclan, à Paris. Hélène, sa femme, était allée à ce concert d’où elle n’est jamais revenue, tombée sous les balles des terroristes. Il ne fallait rien de spectaculaire pour mettre en voix et en espace le témoignage d’Antoine Leiris, rédigé dans la spontanéité suivant l’instant de l’événement. Journaliste et écrivain, c’est sa plume qui est son arme. Adapté et mis en scène par Benjamin Guillard, le texte garde toute l’authenticité de l’écriture de l’auteur exprimant ce qu’il ressentait et ce qu’il vivait auprès de son jeune fils de 17 mois, Melvil. « Sa mère lui manque… deux jours déjà… »

Aucun décor, seulement quelques chaises éparpillées et la présence d’une discrète pianiste (Lucrèce Sassella) derrière un rideau de voile blanc jouant une musique originale de Yaron Herman. Raphaël Personnaz occupe tout l’espace en se déplaçant sans cesse et dit avec beaucoup de respect et de délicatesse ce texte sincère et pudique qui touche à de très profondes zones d’intimité. Devant un événement aussi bouleversant, on rejette la réalité, on la nie, supposant que c’est seulement un cauchemar. Mais, non ! Les faits sont là, bien réels. L’auteur refuse de se laisser envahir par la douleur, il ne se plaint jamais. C’est là sa manière de résister. Il lui suffit d’exprimer les faits et son désespoir. Il recherche des mots simples pour dire l’horreur : « D’abord l’attentat au stade, puis au Bataclan. Hélène est là-bas. Hélène est au Bataclan ! » Il écrit, le soir même, cette longue lettre destinée aux terroristes qu’il « injurie » ou nargue en leur disant : « Vous n’aurez pas ma haine » quoiqu’ils aient volé l’amour de sa vie. « Répondre à la haine par la haine serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes ». Ce livre de deuil ne transige pas avec la réalité, sans rejeter des éclats de colère qui semblent évidents. On mesure la douleur de ceux qui ont perdu un être cher. On est ému, bouleversé. Et pourtant, la vie doit continuer… Malgré le manque de légitimité que ressentait Raphaël Personnaz, il lui a fallu assumer de dire ce texte bouleversant sur scène. Il le fait avec une grande intensité, sans tirer sur la corde de l’émotion. Aussi s’adresse-t-il au public comme s’il fixait chacun dans les yeux en récitant ces mots qui semblent venir des tripes (de l’auteur et du comédien). Ce très bref livre, le comédien le dit sur scène depuis plus d’un an, à Paris et en tournée, il en est complètement habité et doit résister pour ne pas s’identifier à Antoine Leiris, tant il s’est imprégné de cette douleur. Officiellement, il n’y a eu aucune rencontre entre eux, mais le comédien a su que l’auteur avait apprécié cette mise en espace et avait été troublé d’entendre ses mots exprimés par la voix d’un autre. Raphaël Personnaz était particulièrement ému de la présenter à Nice, ville victime d’un cauchemar effroyable. Au cours de son bref séjour, il ne voulait même pas aller sur la Promenade des Anglais. Un seul regret : pour un « spectacle » si émouvant, la salle du TNN est très grande, plus de proximité avec le comédien aurait été préférable. Vous n’aurez pas ma haine a obtenu le « Molière du seul en scène » en 2018.

Par Caroline Boudet-Lefort

Vous n’aurez pas ma haine © Giovanni Cittadini Cesi