Fuck’bout everything : l’enfant selon Yoshitomo Nara

Fuck’bout everything ! Ce n’est pas un slogan punk des années 1980 mais le titre d’une œuvre de l’artiste contemporain japonais Yoshitomo Nara. Sa production, mélange d’art et de culture populaire, de tradition et de contemporanéité, tourne autour de thèmes récurrents tels que la mélancolie, la colère, l’agressivité ou encore le désespoir ; thèmes qui sont à rapprocher du mal être actuel de la jeunesse nippone et qui aboutissent à une recherche introspective constante d’identité.
Ses représentations favorites sont les enfants qui derrière leur apparente innocence cachent d’après lui un conflit métaphorique entre le bien et le mal. D’où sa vision de l’enfant en tant qu’être à la fois innocent et coupable par nature1. Dans Fuck’bout Everything, la petite fille, avec ses jolies couettes blondes et sa robe blanche virginale ne nous dit rien d’autre que ce message éponyme (que l’on pourrait traduire par l’euphémique expression « Ras le bol de tout »). Elle menace de son couteau deux personnages adultes, ce qui n’est pas sans rappeler les faits divers qui, depuis quelques années, défrayent régulièrement la chronique au Japon ; tel cet adolescent armé d’un couteau qui, en mai 2000, a attaqué un bus à Hiroshima, pris en otage une fillette de 6 ans, tué une passagère et blessé cinq personnes :, ou encore en 1997 lorsque l’on a retrouvé devant la porte de son école à Kôbe, la tête décapitée d’un collégien de 12 ans. Le meurtrier, un adolescent de 14 ans, avait envoyé une lettre aux journalistes dans laquelle il expliquait son crime comme « une vengeance contre le système scolaire ».

Ainsi depuis 1990, le Japon fait l’expérience de nouveaux comportements asociaux. Ce sont des enfants ou des adolescents surnommés hikikomori 2 (« personne qui se replie »). Ils se coupent du système scolaire et finissent par commettre toute sorte de crimes. Nara met en scène des enfants perdus, violents, au bord de la criminalité. Est-ce à dire que les œuvres de Nara sont à la peinture ce que Sa majesté des mouches 3 de William Golding est à la littérature ? Les œuvres de Nara nous montrent une jeunesse qui doit passer par l’annihilation du poids de la société traditionnelle pour trouver sa place dans celle du présent.


Everything est extraite de la série In the Floating World de 1999, où Nara travaille à la peinture sur des reproductions d’estampes japonaises de la période Edo (1603- 1854). Le titre de cette série, que l’on peut traduire par « Dans le Monde Flottant », est un clin d’œil direct au terme ukiyo-e, « image du monde flottant », nom poétique donné aux estampes. Hommage ou dénégation ? La petite fille blonde sur fond d’image du monde flottant n’est là que pour perturber ce paisible monde. Elle n’a que faire de cette société empêtrée dans le passé et les traditions : si elle doit passer par le meurtre des deux geisha, emblèmes d’un héritage culturel ancestral, pour en finir symboliquement avec la tradition, elle le fera. « Ce [les enfants] sont de purs démons » 4, affirme Nara et sa fillette n’hésitera pas, à l’image des jeunes Japonais, à se transformer en hikikomori, en « démon » pour exister.
Par Charlène Veillon
1.Cette vision controversée de l’enfance, Nara Yoshitomo la partage avec les 80 autres artistes internationaux invités du 8 juin au 1er octobre 2000 au CAPC de Bordeaux, lors de l’exposition Présumés innocents : l’art contemporain et l’enfance. Le 25 octobre 2000, une plainte fut déposée par l’association La Mouette, qui a pour but la défense, la protection et le respect des enfants, et qui voyait dans cette exposition « une vision des enfants d’adultes pervers, masochistes et morbides ».
2 Les hikikomori font partie de ces jeunes Japonais que les médias nippons surnomment les New Breeds, soit « la Nouvelle Race ou Nouvelle espèce humaine », car d’une essence différente du « vrai » Japonais.
3.William Golding, Lord of the Flies, Londres, Faber & Faber, 1954 [1ère éd.] ; trad. Française par Lola Tranec, Sa Majesté des mouches, Paris, Gallimard, 1956. Ce livre raconte l’histoire d’enfants naufragés sur une île déserte. Bien vite, les enfants mettent en place une organisation tribale sauvage et violente. Ce roman met à mal le concept d’innocence que l’on associe toujours à l’enfance.
4. Midori Matsui, « An Interview with Yoshitomo Nara », Index Magazine, n°62, février/mars 2001.