Alberto Giacometti, ascèse et passion
La biographie d’un artiste, forcément personnage de caractère, peut se lire comme un roman. D’autant que l’auteur ne manque pas, si l’occasion se présente, de dramatiser le récit. Ainsi les auteurs se délectent à dire Sandro Botticelli, ou Camille Claudel. Ou, version plus tragique, Le Caravage. Sans qu’on puisse lui attribuer les excès de ces devanciers, Alberto Giacometti s’était construit un parcours qui ne manque pas de situations romanesques.
Il y a fatalement dans l’histoire d’une vie des moments sur lesquels l’interprétation de l’écrivain, en général plutôt en sympathie avec l’artiste qu’il a choisi de raconter, déborde les faits quand il décrit les relations à l’entourage, familial, amical, professionnel. Page 131, Anca Visdei commente : « Dans un texte d’explication pour sa sculpture Le Palais à 4 heures du matin, il évoque l’anecdote intime qui se trouve à son origine. Il décrit un attachement passionné durant « six mois passés heure par heure auprès d’une femme ». Ses œuvres sont souvent des notations autobiographiques sublimées… ». Les sentiments ne sont pas objectifs, et qui parle de ceux d’autrui les exprime au tamis des siens. Et souvent le regard du conteur sur l’œuvre tend à l’éloge sans restriction.
Dans ce livre certaines pages se lisent comme un roman, cependant l’historienne balise le parcours. Elle indique les événements, situe et date lorsque c’est nécessaire pour suivre l’itinéraire d’Alberto, tortueux mais marqué de ruptures, bien que toujours obstinément orienté vers le même but. Il y a les lieux, le rôle socle fondateur de la famille, le frère qui jouera un rôle important dans sa vie, et les rencontres formatrices avec les œuvres du passé, et surtout avec les artistes vivants… Est dit aussi de Giacometti le rapport évolutif à son propre travail. Tout est documenté dans la mesure du possible, depuis la reconstitution de la généalogie des Giacometti, milieux familial relativement modeste mais assez aisé pour soutenir le jeune homme dans ses séjours formateurs (à Paris, Florence etc..), mais surtout ouvert à l’art : son père, Giovanni Giacometti, est un artiste peintre reconnu, et pour Alberto le milieu des arts est familier dès l’enfance. Plus tard, il rencontrera, croisera ou fréquentera Beckett, Sartre, Beauvoir, les surréalistes, Aimé Maeght, Brancusi, Lipchitz, Henri Laurens, André Masson, Arp, Kitchner, les critiques et éditeurs Zervos, Teriade……… Son évolution a ainsi été accompagnée de moments et d’échanges marquants. Anca Visdei écrit par exemple page 165 : Au Café de Flore, Giacometti rencontre Samuel Beckett, qui sera un ami fidèle et un soutien indéfectible. Alberto qui disait « on ne réussit que dans la mesure où l’on échoue » ne pouvait que s’entendre avec le père de Vladimir et d’Estragon qui écrivait : « Être artiste, c’est échouer comme nul n’ose échouer. » Ou encore : « Être artiste, c’est se tromper, se tromper, se tromper au bord de la route, c’est l’essence de l’art. »
Ainsi s’est construit l’œuvre que nous connaissons, dans lequel d’erreurs en erreurs, d’échecs en échecs, nous est découvert l’itinéraire façonnant le sculpteur Alberto Giacometti en homme qui marche.
Marcel Alocco
Alberto Giacometti, ascèse et passion
Par Anca Visdei, éd. Odile Jacob, Janvier 2019