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ANTHEA – LES FOURBERIES DE SCAPIN de MOLIERE

Cette oeuvre de Molière est l’une de ses plus hilarantes comédies, si elle est magistralement mise en scène comme elle l’est par Denis Podalydès, resté fidèle à la farce ainsi que l’aimait Molière. Pourtant il n’hésite pas parfois à tirer sur le tragique quand l’auteur parle de l’avarice avec férocité. Molière a toujours manipulé la férocité avec doigté, sachant la tourner vers le comique. Et le ridicule selon les comédiens. Avec la troupe de la Comédie-Française, la distribution est absolument parfaite et tout le comique de la pièce est élevé au maximum dans un jeu outré pour accentuer le côté farce. Parfois même trop outré, afin que toutes les mimiques puissent être vues du fond de la salle. Ces comédiens exceptionnels savent s’adapter à d’immenses salles comme celle d’Anthéa et le texte est magistralement articulé si bien qu’aucun mot ne se perd.

A Naples, deux pères radins, ont pour leurs fils des projets matrimoniaux pouvant augmenter leur pécule. Mais les jeunes gens sont amoureux par ailleurs et s’engagent auprès des femmes qu’ils aiment. Scapin, valet de l’un d’eux, aura la charge d’arranger cette situation. Il lui faudra être malin et surtout audacieux au possible. Ce qui entraîne des circonstances farcesques avec ce valet, ancien repris de justice sans scrupule. C’est d’ailleurs du côté de la farce que Benjamin Lavernhe joue de façon jubilatoire ce Scapin, volubile et agité. Il n’hésite pas à en rajouter dans les mimiques et jeux de scène : il bouge sans cesse, grimaçant, courant, grimpant, sautant, gesticulant… Acteur exceptionnel, il se dépense sans limites et semble improviser pour augmenter davantage la filouterie de son personnage et en faire un rusé qui tire les ficelles selon son gré en manipulant à loisir ces empotés de pères radins. Avec malice, il s’adapte à chacun d’eux dont la radinerie est différente. Non seulement, il leur soutire de l’argent, mais il ne se prive pas, pour se venger, de rosser à coups de gourdin Géronte (extraordinaire Didier Sandre, quasi méconnaissable !) dans une scène mémorable, où ce dernier crie sur tous les tons « mais qu’allait-il faire dans cette galère ? », parlant de son fils soi-disant otage de Turcs sur une galère. Le tragique de la pièce apparaît quand la jeune fille raconte en riant à Géronte la manipulation dont il a été victime et qu’il découvre être catalogué comme un vieux pingre ridicule. Déjà avant quand, roué de coups par un Scapin vengeur qui en ajoute encore et encore, le public s’esclaffe de rire. Cette férocité ressemble davantage à une scène de guignol que de vengeance dans le choix de la mise en scène. Cela ravit les spectateurs venus voir un Molière pour s’amuser. Cependant, le visage de Didier Sandre, alias Géronte, exprime, avec un visage émouvant, toute sa douleur d’humilié, ce qui montre une certaine ambiguïté de la pièce. A laquelle s’ajoute l’ambiguïté de la relation maître et valet : lors de l’heureuse fête finale, Scapin sera placé en bout de table. La scénographie d’Eric Ruf évoque les tréteaux de la commedia dell’arte, s’accordant ainsi au jeu farcesque des comédiens. Entre palissades et échafaudages, le décor est le fond d’une cale de bateau, si bien que, pour leur entrée en scène, chacun doit descendre avec plus ou moins d’adresse et de facilité selon l’échelle. Les costumes de Christian Lacroix ajoutent un plus à ce splendide spectacle. Un véritable moment de bonheur apprécié du public qui applaudit à tout rompre après avoir tant rit !

Caroline Boudet-Lefort

Les fourberies de Scapin – © Christophe Raynaud de Lage Collection Comédie-Française