Cosmogonies au rythme des grondements du Stromboli
Pour fêter les 90 ans de la naissance d’Yves Klein, le MAMAC a convoqué une cinquantaine d’artistes de plusieurs générations qui dans sa mouvance se sont inspirés de la nature et des éléments dans leur création artistique. Pour cette grande exposition de l’été, Cosmogonies, au gré des éléments, chacun des artistes investit à sa manière les expérimentations qu’Yves Klein amorça dans les années 1960 avec les Etats- Moments de la nature. Il est question des liens qui unissent les composants de l’univers, d’érosion, cristallisation, brûlures du soleil, destruction, réparation, germination, décomposition, mais aussi de l’attrait des artistes à saisir ces moments éphémères et de l’écoute des pulsations du monde et de sa vie secrète. L’eau, la terre, l’air, le feu sont convoqués : une centaine d’œuvres, des installations, des performances filmées, des toiles ou photos sont à voir. Partant des Cosmogonies d’Yves Klein, recueil sur toile d’Etats- moments de la nature, COS 13, qui sont pour lui des révélations quasi-mystiques, l’exposition présente des artistes du Land Art, de l’Arte Povera, ou de la filiation, fascinés par les manifestations d’énergies de la nature et de ces moments essentiels provoqués ou non, dont ils font œuvres.

L’exposition ouvre avec une superbe vidéo Stromboli 2002 de Marina Abramovic’ où le corps de l’artiste s’abandonne aux fluctuations des vagues en toute sérénité alors que du volcan, gronde le magma en fusion. De cette scène poétique, rythmée par le flux et le reflux de la mer se dégage une impression de quiétude, d’osmose avec les éléments, d’équilibre entre l’homme et le monde. Mais au cours de la visite, le grondement du Stromboli accompagne le visiteur et cet équilibre entre la nature et l’homme se trouble. On rencontre le grand artiste de l’Arte Povera, Giuseppe Penone, avec l’œuvre soffia di foglia 1976, souffle de feuilles, (empreinte de la forme de son corps sur un amoncellement de feuilles), Boyle Family, propose Journey to the surface of the earth, Antony Mc Call, fait rêver avec une performance video, Landscape for White Square, 1972, sorte de cérémonial où des individus émergeant d’un brouillard épais, avancent en portant des draps blancs, alors que Maurizio Nannucci, geste éphèmère, écrit sur l’eau de la pointe de ses doigts.

Le visiteur découvrira des dessins provoqués par le vent, des traces d’impacts de grêle, des nuages artificiels, des arcs en ciel. Comment recoudre la terre pour la réparer. A voir les panneaux de Noel Dolla exposés aux fumées des volcans, se laisser surprendre par les dégradations d’une immense toile, laissée sous terre d’Edith Dekyndt. Ici Quentin Derouet peint avec des roses, les larmes d’Eros, là Bernard Moninot enregistre les effets du vent sur le noir de fumée.

Charlotte Charbonnel, crée Adn (2006) des nuages laiteux éphémères, (alcool et eau, dosage à suivre) dans des bocaux de verre tandis que Barbara et Michael Leisgen photographient, jouant sur la perspective, le soleil maintenu comme un ballon sous le bras de Barbara, ou encore un nuage soulevé par elle à bout de bras. Les œuvres rassemblées inscrivent l’art et l’artiste dans un cycle naturel, un cycle de vie. Mais le danger gronde car se révèlent dès les années 1960, les dangers et les préoccupations face à l’irresponsabilité de l’homme, à son action destructrice et à la dégradation de l’environnement. Ainsi s’inscrit Notas sobre o limite do mar 2012, de Maria Laet,

tandis que Gina Pane propose Terre protégée II, une installation composée de bois, chanvre et terre, les signes dévastateurs du paysage sont dénoncés par Maarten Vanden Eynde avec Restauration du lac Montbel. (2003-2014), alors que Hicham Berrada enregistre un paysage chimique conservé dans une cuve en verre Présage, Tranche. 2005-2018 L’exposition est touffue, au cours de la visite, ne pas manquer les photographies couleur de Judy Chicago, On fire1969-2012 et celles d’Otobong Nkanga, Alterscapes : Playground 2005-2015.

Si des œuvres de la fin de la présentation ont un objectif curatif ou même une direction artificielle plus radicale, entre art et fiction, l’exposition présentée par Hélène Guérin, commissaire et directrice du Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain de Nice, témoigne de la fascination des artistes pour l’équilibre de la nature et du cosmos. La captation de ses vibrations, sa fragilité et ses dérives suscitent d’une manière sous-jacente un intelligent cri d’alarme que le visiteur entend.
Brigitte Chéry le 22 juillet 2018
Photos copyright Béatrice Heyligers
Mamac : place Yves Klein NICE
Exposition Juin-16 septembre 2018