Edouard Ropars, Rêve d’architecture
Les expositions ayant pour thème l’architecture ont une fâcheuse tendance à rebuter les spectateurs les plus enjoués. Concepts arides et croquis minimalistes font naître une frustration semblable à celle éprouvée devant une oeuvre inachevée, sans intention de l’être.
L’architecture, art majeur longtemps considéré comme le plus noble de tous, art intrinsèquement monumental, se prête assez mal au jeu de l’exposition et ne souffre que rarement le white cube.
La Station est établie à Nice dans une grande maison à l’aspect abandonnée, le jardin est envahit de hautes herbes. Villa dans le style de la Belle époque à la splendeur déchue comme on en rencontre tant sur la côte d’azur.
Dans les quelques salles d’exposition de ce lieu dédié à l’art contemporain, l’architecte Edouard Ropars expose plusieurs de ses projets auxquels s’adjoignent des photographies de ses maquettes misent en scène par différents photographes.
Matériaux (terre crue, boules de couleur, sucre) et formes (lingot d’or, flèche, flammes) atypiques, nous éloignent des simples et ennuyeuses maquettes de bois. Certains assemblages jouent sur une apparente fragilité. Ainsi d’énormes billes bleues et vertes s’amoncellent et tentent d’inciter le visiteur le plus impassible à faire basculer le bel édifice tant la catastrophe semble imminente et l’équilibre précaire.
Deux photographies d’espaces recouverts de moquette rouge et bleu, nous font pénétrer à l’intérieur de l’architecture imaginée par Ropars. Redondance des billes qui composent également le plafond et les murs du bâtiment. La saturation de l’espace par la matière colorée est un cauchemar de claustrophobe où l’usage de la forme du cercle renvoie à l’impossible fuite.
Le projet pour le centre culturel de Hammerfest en Norvège est un enchevêtrement de morceaux de sucre en forme de croix. Blancheur morbide, matinée d’un attrait pour les formes pyramidales aux contours incertains qui rappellent un simple entassement.
Le travail d’Edouard Ropars confine à l’oxymore, des architectures aux lignes épurées débordantes de leurs propres matériaux de construction.
L’avant dernière salle nous place face à « l’auteur-créateur-architecte ». La photographe Natacha Lesueur, habituellement attentive à l’esthétique des aliments, s’adonne une fois encore avec brio à l’art classique du portrait. Les cheveux d’Edouard Ropars se transforment en pièce montée non comestible. Dandy créatif à l’allure travaillé, raideur, lunettes et costume évoquent la panoplie chère aux couturiers Victor & Rolf. Dans la même salle se trouve Burning House. Reprise du motif de la flamme, si prisé des amateurs de tuning et de l’artiste Sylvie Fleury, avec toutefois une plus grande sobriété.
Le dernier espace est un couloir assez large contenant l’affiche d’une façade d’un immeuble détérioré. Plusieurs trous dans le mur ponctuent la surface de béton. Outre la beauté des dégradations, une connivence entre le lieu et l’œuvre s’opère. Sous nos pieds le sol est chaotique, abîmé, faisant allusion à ce que nous sommes en train d’observer.
Les transpositions photographiques des maquettes de Ropars attirent. Telle cette personne sous un déguisement de lapin qui inquiète et amuse à la fois.
Nous échappons à la sécheresse d’une exposition d’architecture grâce aux prises de vues faites par d’autres artistes. Ces points de vue singuliers sur les travaux de cet architecte viennent ponctuer et enrichir cette exposition. Serait-ce à dire qu’une exposition d’architecte ne peut se suffire à elle-même ? Qu’elle doit jouer à se représenter et non seulement à s’exposer ?
Il est vrai que des maquettes ne suffisent pas à faire œuvre et encore moins exposition. C’est donc bien la réunion d’un architecte et de plasticiens qui donne un intérêt artistique et en fait une véritable exposition d’art contemporain.
Le titre de L’exposition, Babylon Inside, contient l’image de cette cité idéale qu’Edouard Ropars rêve de construire. Concrétisation ultime de l’architecte que la construction. Utopie millénaire au goût particulièrement amer en France, pays où la patrimonialisation prend très souvent le pas sur la création.
Notons que de toutes les maquettes présentées, une seule est une commande, celle d’un bowling à Alger.
Alors une frustration subsiste tout de même à la sortie de la Station. Que s’agitent les grues et autres échafaudages pour que tous ces projets deviennent architecture, pour enfin en voir « la forme vraie et grande »1
par Christelle Colborati
Edouard Ropars avec la participation de Julien Abinal, Olivier Campagne, Philippe Jarrigeon, Milo Keller et Natacha Lesueur
à la Station du 24 mai au 28 juin 2008
10 rue Molière
Nice
1 Eugène Fromentin