Jacques Lavigne
Ma peinture ? Sans passé et sans avenir… Sans profondeur et sans mystère… Sans ailleurs… Transparente… Comme un éblouissement”.

Jacques Lavigne est à la marge. Parce qu’on ne fait pas la différence entre une peinture académique et une peinture qui ne l’est pas, “et la mienne ne l’est pas”. Se situe-t-il à l’arrière-garde ? “Non”. Peut-être faut-il alors abandonner la garde et laisser à Jacques Lavigne la liberté d’être là où il est, ici, en cours, en révolution du temps. “L’occident est en risque de mort terrible. La psyché moderne doit aller à l’origine”. Jacques Lavigne n’est pas un nostalgique, il n’y a pas de passé dans sa peinture, ni d’enfer ni de paradis, seulement un temps espace que suggère le lieu sacré du rectangle. Car le peintre est passé par le cinéma dans les années 60/70. Alors, lui semblait-il, la lutte des classes était le moteur de l’histoire, or bien vite s’imposait à lui “qu’est-ce que la réalité ”, question ouverte qui n’interroge ni ne prétend de réponse, mais suggère le mouvement. “Je suis revenu à la peinture et à l’abstraction … parce que je me sens moins contraint”.
L’abstraction finie et maintes fois repartie, nécessaire sans doute à la liberté du mouvement dans le rectangle “qui est pour moi un archétype”. Le rectangle, espace sacré, là où tout se passe. Toile “lieu-écran” et papier “déchiré” délient et projettent. L’œuvre de Jacques Lavigne ne reproduit rien, ni ne témoigne d’ailleurs, elle arrondit les côtés du rectangle, elle révèle et découvre ce qui fait de lui l’infini même, la genèse en gestation, si près du terme, une œuvre gravide qu’amorce la couleur.


Le minéral, le végétal, l’animal : les matières de la couleur, une foule de personnages qui obligent Jacques Lavigne à la force, à la compréhension, à la compassion mais aussi à la prudence, à la contradiction, à l’ambiguïté. “Dans la couleur se joue tout le drame du monde. D’en parler me fragilise”. Et c’est cela, et en cela, a écrit Robert Marteau, poète et essayiste, que je reconnais l’œuvre de Jacques Lavigne : à ce qu’elle est essentiellement musicale, magiquement silencieuse, suspendue dans l’attente de la manifestation sonore”.
Où se trouve l’artiste aujourd’hui ? “C’est une époque très chaotique. L’avant-garde n’a plus grand-chose à détruire. Les symboles religieux sont en déconfiture. Il y a un besoin de traduire dans la matière, dans le concret, des images figuratives ou abstraites”. Jacques Lavigne est dans la cosmogonie étymologique : l’univers, le monde habité, les humains. “Chacun de nous a l’univers entier en soi”.
Une œuvre qui s’installe au-delà d’une modernité sans cesse dépassée. A la place qu’elle est appelée à occuper.

Patricia Dao
Né en 1937 à Hourtin dans le Bordelais, Jacques Lavigne découvre la peinture grâce à Jean-Michel Meurice. En 1967, il rencontre Bram Van Velde. A la fin des années 60, il travaille pour le cinéma, s’engage dans le militantisme politique et passe sa thèse de doctorat d’Arts Plastiques à Paris VIII sur le thème “Philosophies orientales et expressionisme abstrait”. Il vit à Antibes depuis 1977.