Jan Fabre, à la Fondation Maeght ou les aventures du cerveau.
De l’exposition Ma nation, mon imagination, spécialement conçue pour la Fondation Maeght, vue par un soleil éclatant cet été, que reste-t-il à l’épreuve du temps, de l’émotion qu’elle a provoquée ?

Auto-sculpture de Jan Fabre
Une petite sculpture dorée, en surplomb des jardins de la Fondation Maeght, Jan Fabre personnifié, chapeauté d’un cerveau, accueillant le public. Jan Fabre, cet homme de scène flamboyant, souvent provocateur, ce plasticien flamand, sculpteur et dessinateur, qui expose dans le monde entier, invite à la découverte de son univers.

Rêve miséricordieux
Après la traversée des jardins, installées dans la cour Giacometti, apparaissent cinq magnifiques sculptures du plus pur marbre blanc de Carrare, créées pour l’église Santa Maria Della Misericorcdia à la biennale de Venise 2011. Cinq Piétas sublimes, vibrantes de lumière, dressées sur un parterre doré, dont se détache la plus grande : Rêve miséricordieux, inspirée de la célèbre Pieta de Michel-Ange. Une œuvre poignante, de grande pureté, où Jan Fabre a substitué son propre cadavre à celui du Christ, abandonné sur les genoux de Marie, le visage couvert d’un masque mortuaire. De son corps pend, au bout du bras droit, un cerveau. Les explorations du cerveau Cette scène de passage de la vie à la mort et la place importante du cerveau dans ces cinq Pietas pose dès l’ouverture, la réflexion de Jan Fabre. Pour lui le cerveau est le siège du ressenti plutôt que celui de la réflexion, il le substitue au cœur.

Jan Fabre devant la sculpture « The brain as a heart « (2015)
Comme dans cette sculpture The brain as a heart (2015) présentée dans un jardin intérieur, où il rompt avec la tradition du cœur transpercé. Jan Fabre s’est toujours intéressé au thème de la métamorphose, au passage de l’état de chrysalide à celui d’insecte, de la vie à la mort qui continue de hanter sa création. Fasciné par ce cerveau, fait de chair et de veines, et par sa forme qu’il trouve sensuelle, il en offre au fil de la visite, les aventures en relation avec ces questions existentielles, souvent avec humour. De son imagination foisonnante, jaillissent une foule de dessins et de magnifiques sculptures à découvrir, cerveaux dorés, beaucoup en marbre blanc, d’autres en silicone, souvent avec des titres drôles et des jeux surprenants, dernier né, seul un cerveau en marbre noir de Belgique, signe sans doute son appartenance. En guise de généalogie, au début de l’exposition, Jan Fabre présente sa propre conception, comme la connexion sexuelle entre deux cerveaux sculptés, celui de son père et de sa mère, Edmond Fabre et Helena Troubleyn !

Personnage debout sur cerveau avec pelle.
L’artiste omniprésent, sert de référant humain, et participe à des jeux humoristiques sur le cerveau. Ici Jan Fabre, debout sur un cerveau qu’il creuse avec une pelle, ou en lutte avec son attelage sur le cerveau, des cerveaux encore et encore, telle une obsession et pourtant non, car de chacun jaillit une idée nouvelle !

The problem of Sisyphus (2012)
Ici le cerveau poussé par des tortues, en référence au mythe de Sisyphe. Plus loin rayonne, dans un magnifique ostensoir de marbre blanc ciselé, un cerveau fessu, un autre avec des prolongations végétales, et souvent des titres surprenants… Le cerveau et arbre de vie, Le cerveau de l’Amour, Le cerveau du Premier mai, Le son du cerveau, Le cerveau de Dieu, Le tabernacle du cerveau, le cerveau de Giacomo Rizzolatti. L’artiste s’engage complètement dans la dramaturgie de l’exposition, utilise père et mère, se joue des traditions religieuses, se réfère à l’histoire de l’art, aux recherches de scientifiques, puise dans le monde sous- marin avec un hommage à Cousteau, utilise la végétation, les insectes, explore l’heure bleue, tout ce qui est vie, expérimente, jusqu’au passage final qui conduit à deux magnifiques gisants.

Do we feel with our brain and think with our heart ? Video 2013
Souvenir fort, d’une passerelle spéciale entre les recherches du neurobiologiste Giacomo Rizzolatti, découvreur des neurones miroirs avec celles de Jan Fabre. Il faut suivre la video réalisée avec le neurobiologiste italien, où tous deux s’amusent, face à face, vêtus de la même façon et se livrent à des jeux de rôles donnant des précisions sur l’empathie, l’imitation ou l’intelligence. Mon dialogue avec Rizzolatti a bien sûr une part d’irone. Nous pratiquons la « singerie » J’aime la consilience entre art et science. L’art et la science ont ceci de commun que ce sont tous deux des sauts dans l’inconnu » Fin de l’aventure ?

Les gisants
La dernière salle où reposent deux gisants, est un hommage à la science et à l’art où se superpose, à la place des parents géniteurs décédés, à l’origine de sa vocation, l’image de deux scientifiques Konrad Z. Lorenz, zoologiste et éthologue et Elisabeth C. Crosby, neuroanatomiste. Et l’on retrouve les masques mortuaires, l’escargot, le ver, le papillon qui volète, tel l’esprit qui s’envole alors que d’autres insectes poursuivent leur vie et leur chemin.

Papillon, détail sur gisant
Réalisées par d’habiles artisans marbriers, suivis minutieusement par Jan Fabre, ces grandes sculptures de la salle finale, proches de l’art funéraire, restent gravées dans la pensée, comme celles de la cour Giacometti, avec les symboles, les mythes, les métaphores évoquéés au fil de la visite. En final, c’est la beauté qui reste en mémoire et l’humour, le souvenir d’une exposition habitée, grave et pourtant lumineuse, tel est bien là, le paradoxe de la dramaturgie.
Brigitte Chéry
Photos Béatrice Heyligers
Exposition : « Jan Fabre : Ma nation, l’imagination »
Commissariat d’exposition : Olivier Kaeppelin
Fondation Maeght
623 Chemin des Gardettes
06570 ST Paul de Vence