L’AMANTE ANGLAISE De Marguerite Duras
Les faits-divers ont toujours exercé une fascination sur Marguerite Duras. Pour « L’amante anglaise », elle s’est emparée d’un crime fort étrange puisque les morceaux d’un corps ont été découverts dans des wagons de marchandises aux quatre coins de la France. On n’a jamais retrouvé la tête. Tous les trains sont passés par Viorne, c’est donc là que le crime a été commis. Marguerite Duras en a d’abord tiré « Les Viaducs de Seine et Oise », puis « L’amante anglaise » un roman qu’elle a ensuite adapté pour le théâtre. Marguerite Duras a beaucoup contribué à faire sauter les barrières entre théâtre et littérature. Romancière, elle n’avait pas songé à écrire des pièces et elle ne fit qu’adapter certains de ses romans. En s’éloignant du fait-divers authentique, Marguerite Duras a choisi de rendre une femme responsable du crime. Celle-ci ne sait pas pourquoi elle a tué sa cousine sourde et muette et se trouve incapable de l’expliquer à un homme qui la questionne. Est-il un policier, un psychologue, ou un journaliste qui interroge sur les raisons du crime, d’abord Pierre Lannes, le mari de l’accusée, puis Claire Lannes qui ne sait pas expliquer pourquoi elle a assassiné – avant de couper le corps en morceaux – cette cousine qui vivait chez eux depuis longtemps, cuisinant et tenant impeccablement la maison.
Le mari dit de sa femme qu’elle ne s’est jamais accommodée de la vie, seulement restée dans le souvenir d’un amoureux à Cahors, et passionnée par son jardin où elle cultive de la menthe anglaise, qu’elle orthographie « amante » dans ses notes. « Je n’ai jamais été séparée de ce bonheur de Cahors », avoue-t-elle. Sans décor, ni costumes, la mise en scène de Thierry Harcourt est minimaliste : un bureau dans un angle et une chaise au centre sur laquelle s’assoient, à tour de rôle pour être interrogé, le mari et la femme. Ces deux interrogatoires en font un spectacle en deux parties. De sa voix très particulière, Marguerite Duras bouscule les conventions avec déstructuration des phrases, des personnages, de l’action et du temps. Il n’y a aucun mystère, d’emblée on connaît la coupable. Comme toujours chez l’auteure, la pièce sublime les sentiments d’une relation complexe où le mari, aujourd’hui détaché, dit combien il a aimé sa femme. Pour Marguerite Duras, l’amour est trop grand pour pouvoir être joué sur scène, il ne peut être que suggéré et dit, mais dans un autre temps. Au théâtre, le sentiment ne peut être vécu, il passe par la circulation des mots et le jeu des acteurs, aussi une relation doit-elle s’installer alors entre eux et les spectateurs. Avec sa voix musicale très articulée et son regard perdu de myope, Judith Magre semble absente à elle-même, ce qui correspond totalement aux femmes de Marguerite Duras. Elle possède l’opacité et le mystère dont s’entoure l’énigmatique Claire Lannes, ne sachant nullement dire le pourquoi de son geste et s’entêtant à refuser de dire où se trouve la tête jamais retrouvée. « On ne m’a jamais posé la bonne question, dit-elle. Pourquoi je l’avais tuée ? » Les comédiens qui l’entourent sont parfaits dans leurs personnages. Jacques Frantz interprète le mari et Jean- Claude Leguay est l’interrogateur, comme l’appelle MD. Ce moment de théâtre nous laisse émus !
Caroline Boudet-Lefort
L’Amante anglaise ©Photo Lot