Le palmarès du 71eme Festival de Cannes plombé par l’humanitaire
Le renouvellement de l’éventail de films sélectionné pour cette 71eme édition du Festival de Cannes aurait dû aboutir à un palmarès inédit où des talent émergents auraient été reconnus et célébrés. Cela ne s’est pas produit, d’abord parce qu’il a manqué un film dominant le lot et donnant tout son éclat à l’ensemble des films primés, ensuite en raison de l’absence de toute prise de risque par le jury présidé par l’actrice Cate Blanchett. Il s’est borné à récompenser des films (bons ou mauvais) répondant au label humanitaire sans oublier de rendre hommage aux respectables aînés. Bien malin est celui qui décèlerait dans ce palmarès un point de vue sur le cinéma d’aujourd’hui et du futur.

Bon époux, bon père et mauvais sujet
En attribuant la palme d’or au long métrage du Japonais Hirokazu Kore-Eda, « Une affaire de famille » (2), le jury a choisi le film le moins misérabiliste d’une sélection composée de nombreux mélodrames. Il a également récompensé la persévérance d’un cinéaste sélectionné en compétition pour la sixième fois en dix sept ans. Ses films précédents, notamment « Nobody Knows » (2004) et Tel père tel fils (2013), attestent son attitude critique vis à vis du conformisme de la famille japonaise et son humanisme. Dans « Une affaire de famille », il adopte un ton humoristique et tendre pour décrire la vie d’une famille de parasites sociaux et de voleurs à l’étalage. Si cette communauté est peu respectueuse de la légalité, elle s’est donnée une règle de vie fondée sur l’entraide et le partage. Quand, à la fin de cette chronique, les héros sont sanctionnés par les autorités, Kore-Eda affirme ses convictions : la force des liens familiaux ne repose ni sur le sang, ni sur la loi mais sur l’amour.

Les enfants des rues de Beyrouth
Le film de la cinéaste libanaise Nadine Labaki, « Capharnaüm »(3) a été récompensé par le prix du jury. Il s’agit des aventures du jeune Zain, gamin d’environ douze ans qui cherche à survivre dans l’enfer de la rue de Beyrouth. Il a fort à faire pour déjouer les projets de mariage imposés à sa jeune sœur. Non content d’affronter ses parents sans scrupules ainsi que les trafiquants de la grande ville, il prend sous son aile un bambin de deux ans, fils d’une réfugiée. Si la situation décrite est assez simple, le scénario est compliqué. Il est construit en flash-backs entre deux scènes situées au tribunal aussi invraisemblables que plaquées. Il aborde de nombreux thèmes sans en traiter aucun. Il passe ainsi du sort des enfants maltraités à celui des réfugiés en effleurant la trafic de bébés et les mariages arrangés. Quand au style, il oscille entre documentaire improvisé et la reconstitution ultra scénarisée, le tout souligné par une musique omniprésente. « Capharnaüm » est un tire-larme qui a, selon nous, tout pour déplaire. Il faut néanmoins reconnaître qu’il a réussi à séduire les sélectionneurs, le jury et le public de la grande salle.

Godard honoré à Cannes (à défaut d’être compris?)
Après quatre ans sans nouvelles de lui, Jean Luc Godard était à nouveau présent à Cannes, non pas physiquement mais grâce à la sélection de son dernier opus, « Le livre d’image » (4), suivi d’une conférence de presse via un smartphone. « Le livre d’image » est une suite d’extraits de films de photos, de fragment de textes qui assemblés forment un maelström d’une beauté formelle renversante. Le texte qui l’accompagne aborde une multitudes de thèmes d’une manière volontairement saccadée et rapide si bien qu’il est souvent impossible au spectateur non préparé d’en saisir les enchaînements. Il y est question de la guerre à venir, de l’Arabie heureuse et de bien d’autres choses. Sont cités l’écrivain égyptien Albert Cossery, le philologue palestinien Edward Saïd et bien d’autres encore. Pour nous, la compréhension du message porté par cet essai nécessitera, d’y revenir quand il sortira en DVD (ou en livre). Cependant d’ores et déjà nous en avons ressenti la force et l’urgence. A 88 ans, Godard reste un solitaire empêcheur de penser en rond, dérangeant et indispensable. Face à cet objet cinématographique non identifié mais fort, le jury gratifia Jean Luc Godard d’une palme d’or spéciale dont on ne sait si elle récompense l’ensemble de l’œuvre du cinéaste ou sa dernière création.

Misère d’une Kirghize à Moscou
A la surprise générale, le jury a choisi d’attribuer le prix d’interprétation féminine à l’actrice Samal Yeslyamova dans « Ayka » (5) du kazakhe Sergey Dvortsevoy. Pour beaucoup, ce prix devait revenir à Zhao Tao (« Les Éternels » de Jia Zhangke) ou Joanna Kulig (« Cold War » de Pawel Pawlikowski). Visiblement le jury ne voulait pas laisser repartir « Ayka » sans récompense. Ce film est remarquable non pas en raison du jeu de l’actrice qui se réduit à deux expressions, celle de la non compréhension et celle de la résignation. Il l’est en raison du nombre record de misères infligées à son héroïne sur une courte période. A Moscou, pendant un hiver particulièrement neigeux, une jeune femme nommée Ayka, de nationalité kirghize, fuit l’hôpital où elle vient d’accoucher en abandonnant son bébé. La suite du récit n’est qu’une succession de malheurs. Ayka souffre d’une hémorragie consécutive à l’accouchement. Elle effectue un travail pénible dans un hangar mais n’est pas rémunérée car l’employeur a déguerpi avec la paye. Étant sans papiers, elle ne peut trouver d’emploi. Elle est sur le point d’être expulsée du squat où elle dort et est rattrapée par des mafieux à qui elle doit une forte somme. Ils la menacent de s’en prendre à sa sœur, restée au pays, etc. Malgré cette avalanche de malheurs, nous sommes restés assez insensibles au sort de Ayka, peut être en raison d’un effet de saturation, le film étant projeté en fin de festival. Cette indifférence tient également à l’absence de transcendance dont souffre le film. Son héroïne, contrairement à « Mouchette » de Robert Bresson ou « Rosetta » des frères Dardenne n’est porteuse d’aucune révolte et d’aucun espoir.

Le Néo-réalisme toujours vivace
Les deux films italiens présents en compétition, ainsi qu’au palmarès, illustrent la difficulté du cinéma contemporain transalpin à se libérer du poids de son glorieux passé. L’interprète principal de « Dogman » (6) mis en scène par Matteo Garrone a obtenu le prix d’interprétation masculine. La réalisatrice de « Heureux comme Lazzaro » (7), Alice Rohrwacher a été distinguée par un prix du scénario ex-æquo. Le héros de « Dogman », Marcello, est un toiletteur de chiens qui opère dans la banlieue de Naples. Ses passions sont son métier et la plongée sous marine qu’il pratique en compagnie de sa fille chérie. Son seul défaut est d’être trop accommodant avec tous et surtout avec le brutal Simoncino, le caïd du quartier. Simoncino entraîne Marcello dans de mauvais coups provoquant la ruine et le bannissement de ce dernier. Il finit par se révolter contre son persécuteur. Le film se voit sans déplaisir grâce à son héros, drôle et émouvant, puis inquiétant. Il ne fait pas oublier que la situation et le personnage sont des stéréotypes de la comédie italienne comme par exemple dans « Il Guappo », premier sketch de « L’or de Naples » de Victorio de Sica ou « Un bourgeois tout petit, petit » de Mario Monicelli.

« Heureux comme Lazzaro », est un conte intemporel avec un décor et des costumes d’aujourd’hui. Lazzaro, le héros de l’histoire est un brave garçon toujours prêt à rendre service à tout le monde à l’Inviolata, hameau isolé où vit une communauté de paysans. Ces villageois sont des serfs. Ils cultivent le tabac pour le compte de la marquise de la Luna, propriétaire des lieux. Quand la marquise vient passer l’été dans sa demeure d’Inviolata, elle est rejointe par son fils prodigue Tancredi. Entre ce dernier et Lazzaro naît une amitié improbable. Tancredi entraîne l’innocent paysan dans une combine tordue, celle de simuler un enlèvement pour extorquer de l’argent à sa mère. Cette tentative avorte et a pour conséquences d’attirer les carabiniers et provoque la fin du système ancestral et le départ des habitants du hameau. Lazzaro ne participe pas à cet exode. Il disparaît. Bien des années plus tard, alors que des rescapés de la communauté de l’Inviolata, vieillis et clochardisés, vivotent dans l’inter-land d’une grande ville, Lazzaro réapparaît, inchangé. Il partage à nouveau leur existence misérable avec le même entrain et le même optimisme. Le film d’Alice Rohrwacher puise largement dans le panthéon du cinéma italien: l’univers de « L’Arbre aux sabots » d’Ermanno Olmi pour le début, « Affreux, sales et méchants » d’Ettore Scola pour la fin ainsi que « Théorème » de Pier Paolo Pasolini pour le personnage de Lazzaro. Malheureusement, il n’a ni la valeur ethnographique du premier, ni la force dénonciatrice du second ni la richesse symbolique du troisième.

Spike Lee règle son compte au Klan (et à Trump)…
La présence de « Blackklansman » (8) de Spike Lee au sommet des marches à Cannes avec un grand prix est intrigante car ce film n’a rien d’exceptionnel. Le jury a-t-il voulu saluer la carrière d’un réalisateur perdu de vue depuis les années 90 ou bien récompenser l’originalité d’un film dont l’humour a tranché avec le reste de la sélection ? « Blackklansman », d’après une histoire vraie, décrit l’infiltration en 1978 à Colorado Springs de la section locale du Ku Klux Klan par un tandem de policiers de la ville, le premier étant un Noir et le second un Juif. Il s’agit d’une comédie policière au rythme soutenu, aux répliques percutantes et avec un happy-end dans lequel les racistes sont ridiculisés. L’intrigue est complétée par un petit final en forme de documentaire digne de de Michael Moore. Spike Lee met alors en correspondance les propos de David Duke, « Grand Sorcier » du Klan et ceux Donald Trump pour démontrer que rien n’a changé en Amérique entre 1963 et aujourd’hui. En 1963, c’était l’attentat meurtrier de Birmingam (Alabama), en 2017, c’est la mort d’une contre-manifestante à Charlottesville (Virginie). Le film est dédié à cette dernière. Le palmarès a également distingué deux films bien accueillis par le public, « Cold War » (9) du Polonais Pawel Pawlikowski avec le prix de la mise en scène et « Trois visages » (10) de l’Iranien Jafar Panahi avec le prix du scénario ex-æquo.

Amours contrariés pendant la guerre froide « Cold War » décrit en noir et blanc les amours tumultueuses entre un musicien,Victor, et la chanteuse Zulavedette de la troupe folklorique qu’il dirige. Ce noir et blanc auquel il avait eu recours dans son précédant film « Ida », s’adapte bien à la première partie du récit où est décrite l’utilisation de la musique populaire par la propagande du régime communiste polonais. La deuxième partie est moins convaincante. Elle se déroule entre Varsovie, Berlin et Zagreb, où les amants se quittent et se cherchent, puis à Paris où ils se retrouvent et se perdent à la fois. Alors, le noir et blanc devient gris et les clichés obscurcissent le tableau. Par contre, le final romantique a tout pour séduire les spectateurs convaincus, tel Musset, que « les plus désespérés sont les chants les plus beaux… »

Petite virée dans l’Iran profond
Le cinéaste iranien, Jafar Panahi est interdit de tournage dans son pays. Pourtant, il continue de réaliser des œuvres régulièrement projetées dans les festivals. Certes, elles n’ont recours ni à de grands décors ni à de nombreux figurants. Pour autant, elle ne semblent pas avoir été tournées à la sauvette. Doit-on en conclure que la police de son pays est particulièrement inefficace ou que la censure le frappant est relative ? Encore un mystère de l’Orient compliqué qui échappe à notre cartésianisme occidental ! Donc après « Taxi Téhéran », Ours d’or à Berlin en 2015, son dernier long métrage, « Trois visages » a été récompensé à Cannes par un prix du scénario ex-æquo ce qui est paradoxal vu la minceur de son argument. La célèbre actrice Behnaz Jafari (dans son propre rôle) reçoit un message filmé d’une jeune fille qui annonce son suicide (réel ou projeté) car sa famille lui interdit de partir pour la ville afin de suivre les cours d’un conservatoire dramatique. Le réalisateur Jafar Panahi (dans son propre rôle), à qui elle montre ce film voit dans ce dernier une manipulation. N’étant pas d’accord sur l’interprétation du message, ils décident de se rendre en 4X4 dans le village de la jeune fille au Nord Ouest de l’Iran, afin d’élucider ce mystère. Ils arrivent dans cette région montagneuse où ils retrouvent la candidate au suicide, ainsi que divers personnages, accueillants ou hostiles. Confrontés à des coutumes pittoresques ou morbides, ils réaliseront que leur statut de stars reconnues ne peut rien face à la rigidité de la tradition. Ce film emprunte quelques trames narratives de Abbas Kiarostami: la voiture, le voyage, etc. Néanmoins, la démarche de Panahi est différente de celle de son aîné. Au delà du documentaire et à travers la description du comportement des trois femmes, il esquisse une peinture de la société iranienne d’aujourd’hui. Ces trois visages d’artistes représentent trois générations : la célèbre actrice émancipée faisant fi de la rigidité de la société, la jeune fille rurale voulant échapper à la chape de soumission qu’on lui impose et la vieille chanteuse (que le spectateur ne verra pas) vivant en ermite près du village et se consacrant à peindre des tableaux pour le simple plaisir de créer. Le palmarès a laissé de coté quelques films ayant marqué la compétition du 71eme Festival de Cannes. Ils avaient le défaut de parler d’intime et non de social. Ils n’avaient donc pas le bon tampon pour le passeport pour la gloire. Il s’agit « Asako I et II »(11) de Ryusuke Hamaguchi, émule japonais de Hong Sang-soo ; « Burning » (12) de Lee Chang-Dong, virtuose plongée dans la névrose de trois jeunes Coréens ; de « L’été » (13) de Kirill Serebrennikov, évocation de l’univers du rock underground dans l’ex Leningrad des années 80 ; « Le Poirier sauvage » (14) de Nuri Bilge Ceylan, méditation à propos de l’éternelle fracture turque entre tradition et modernité ; « Les Eternels » (15) de Jia Zhangke, fresque sur les bouleversements de la Chine durant ces 20 dernières années. En raison de leur intérêt artistique, ils méritent que l’on en parle. C’est ce que nous ferons dans une deuxième chronique sur le Festival de Cannes. Nous nous intéresserons également aux longs métrages qui ont fait les beaux jours des autres sélections. Bernard Boyer
- Palmarès des longs métrages du 71eme Festival de Cannes Palme d’or : « Une affaire de famille » réalisé par Kore-Eda Hirokazu Grand prix : « Blackklansman » réalisé par Spike Lee Prix du Jury : « Capharnaüm » réalisé par Nadine Labaki Prix d’interprétation masculine : Marcello Fonte dans « Dogman » réalisé par Matteo Garrone Prix de la mise en scène : « Cold War » réalisé par Pawel Pawlikowski Prix du scénario ex-æquo : Alice Rohrwacher pour « Heureux comme Lazzaro » et Jafar Panahi pour « Trois Visages » Prix d’interprétation féminine : Samal Yeslyamova dans « Ayka » par Sergey Dvortsevoy Palme d’or spéciale : « Le livre d’image » réalisé par Jean-Luc Godard Caméra d’or : « Girl » de Lukas Dhont présenté dans le cadre de Un certain regard
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