Marcel ALOCCO : Ben VAUTIER chef d’orchestre.
J’ai fait la connaissance de Ben en 1957 ou 58 lorsqu’il a ouvert sa toute petite boutique, 32 rue Tondutti de L’Escarène, qui deviendra le célèbre Laboratoire 32. Au départ brocante, petites choses mais surtout livres et disques d’occasion, vite spécialisé sur les disques. Il installait se boites dehors, un peu comme à Paris les bouquinistes sur les quais de Seine. Le hasard : Alors étudiant, je passais souvent sur ce trottoir pour aller travailler à Bibliothèque Municipale. Nous avons discuté, tous deux en recherche sur nos moyens d’expressions artistiques. Ben me proposa d’écrire ensemble un livre d’esthétique. Bien sûr, nous en étions incapables. Mais le dialogue entre nos cultures, lui autodidacte aux savoirs bricolés, moi plus universitaire quoi que lisant et explorant davantage en toutes directions que suivant mes programmes… Suivirent donc quelques 70 ans d’amicales controverses. Nous étions aux deux bouts, lui le plus fou (des « Nous sommes tous Fous », qu’il proclamait depuis juin 2023 au Musée d’Art Naïf de Nice), moi le plus (dé)raisonnable.
Nous étions informés sur les avant-gardes américaines par Arman qui passait voir Ben à chaque retour de New-York. Ben, bilingue, se procurait des publications en anglais qu’il lui signalait ou apportait. Il prit aussi contact avec Maciunas et devint le relais d’informations sur l’art vivant international (dont Fluxus), jouant ainsi le rôle de transmetteur un peu comme au XIXème siècle le fut pour le Romantisme Madame de Staël avec « De l’Allemagne ». Il fut surtout le porte-voix de Fluxus, Fluxus qui s’était formé à New York influencé par Marcel Duchamp et John Cage, et organisé (plus ou moins) par George Maciunas qui vint en l’été 1963 donner un « Concert Fluxus » avec le groupe « Théâtre Total » de Ben. Fluxus qui n’est pas une esthétique mais une attitude libératrice des pratiques artistiques convenait bien à Ben, très différent des Fluxus initiaux tels que son apposé absolu, l’anti-Ego George Brecht ou son copain de la « Cédille qui sourit » Robert Filliou, qui en est la version la plus culture française. Chaque Fluxus l’ayant été à sa façon, Ben a lui été surtout « Beniste ». Commentant son année d’exposition qui vient de se terminer au Musée d’Art Naïf de Nice, je disais, plaisantant à demi, que Ben n’était pas Fluxus, mais Surréaliste tendance Art Naïf.
Ben n’a pas créé « L’Ecole de Nice », idée d’abord émise par Martial Raysse qui était ensuite opposé à sa constitution, avec raison : Ce n’était pas une École, ce qui aurait sous-entendu UNE esthétique, mais un événement sociologique. Ben, efficace publiciste, en fut le Hérault, une sorte de chef d’orchestre, Maestro essayant de diriger des musiciens qui chacun ne voyait que la partition de sa propre composition. Les compositions de Ben furent très bruyantes : en restera certains échos. Ses œuvres les plus originales, les plus représentatives de son travail, (jugement subjectif) sont : à Beaubourg sa Boutique (Bien retravaillée), sa « Cambra de Ben », au Musée de Nice (MAMAC), et tout nouvellement installée BIZART BAZ’ART, à la Kunsthalle de Brême.
Oui, 70 ans d’amitié. Et notre amicale dernière rencontre, qui aujourd’hui me parait étrange : Il y a quelques semaines j’étais à la Galerie Eva Vautier pour un vernissage. J’allais sortir de la galerie quand Ben entra avec quelques amis. Nous ne nous étions pas vus depuis quelques mois. Il est venu vers moi et en me serrant la main m’a dit en riant « Tiens, te voilà, mais je te croyais mort ! » Et moi, entrant dans le jeu et comme lui riant, j’ai répondu : « Mais moi aussi je te croyais mort ». Plaisanteries que pouvaient se permettre deux quasi nonagénaires.
Marcel ALOCCO
Visuel de couverture 1965 Sur la Promenade des Anglais à Nice avec Farhi Gilli Arman Ben Nicole et Annie Film Gaumont