Opinion

Marcel ALOCCO : EXTRAITS de NOTES du PRINTEMPS 2024

31 Mars

Que signifie l’expression 2.0 ? Ce 2.0, de plus en plus employé, qui se dit « deux, point, zéro », fonctionne comme un adjectif. Il qualifie « une chose qui s’est totalement renouvelée, transformée, qui a connu une évolution majeure, une quasi-révolution ». Les technocrates, les administratifs, les dirigeants de tous niveaux adorent : Affichent ainsi l’apparence de n’être pas débranchés. Que les récepteurs ne comprennent pas ce langage, peu importe : il s’agit d’abord de les convaincre, ainsi preuve à l’appui, qu’ils sont moins intelligents (ce qui n’est pas évident), moins informés (ce qui est souvent vrai, on l’y encourage…) et qu’ils doivent donc se convaincre qu’ils ont tort s’ils pensent autrement que les brillants pratiquant du 2.0. Si brillants qu’ils ont résolu tous les « problèmes », puisqu’à les entendre discourir ce mot a disparu de leurs vocabulaire – car ils n’ont plus à résoudre que des « problématiques »… Pas de problèmes ! Oh ! pardon ! Pas de problématiques, ils y parviendront.

2.0 Bis……Toute cette réflexion parce que je viens d’entendre dire d’un chanteur que son dernier disque est « deux-point-zéro ». Etant francophone de naissance et de culture (études limitées à quatre années de fac et de poursuite autodidacte pendant plus d’un demi-siècle), je comprends qu’il est noté 2, 0/10. Lorsque j’allais à « la communale », où nous apprenions à compter, nous employions dans ce cas une virgule. Etrange et bien nouveau pour moi que soit notée après un point une décimale qui n’existe pas. Nous aurions (jadis) mis une virgule pour les miettes suivant le nombre entier. Par exemple, 2,00001 Cm. Mais la journaliste continue sa présentation par un commentaire élogieux du chanteur qui pour elle semble plutôt apprécié 10/10. Bien sûr, aussi ringard que je sois, je joue ici l’âne pour avoir du foin. J’espère que vous, qui êtes citadins 2.0, savez encore malgré tout ce qu’est un âne — et peut-être même le foin, ce qui est moins sûr, l’est moins photogénique que l’âne ! Je n’ignore pas qu’un langage se constitue à l’image du peuple qui l’emploie. Mais si je dis comme il se dit depuis au moins quelques décennies l’expression « parler une langue de bois » chacun connaissant le bois dans sa rigidité de poutre porteuse n’aura pas besoin d’être bucheron ou un menuisier pour comprendre l’image. Si vous écoutez les propos des journalistes à la télé ou la radio, surtout dans les propos improvisés, vous aurez remarqué l’arrivées, de plus en plus envahissante, d’un vocabulaire nouveau dans la langue courante. Les termes techniques ou anglophones ornent de plus en plus les discours, car dans l’esprit du locuteur 2.0 flatte « une chose qui s’est totalement renouvelée, transformée etc. L’auteur du discours, économiste, politologue, ou quelconque technicologue – (ou dit « spécialiste) qui est censé parler à tous les auditeurs ne semble pas savoir que la majorité n’entend de ces mots ou formules que leurs existences dans un domaine de spécialistes, mots et formules qui proclament d’abord son incompétence l’auditeur. C’est du « nous, qui savons, et disputons entre nous qui savons ». Nous entendons aussi un mot en cet «anglais international» (comme un américain mâchouillé, ou un « pidgin »), dans chaque phrase pour dire un état ou une action qu’un mot en français vient de dire, comme si le redoublement confirmait : « Croyez-nous sur paroles », fussent-elles paroles inaudibles. Aussi inaudibles que les acronymes de plus en plus nombreux : Quelques-uns nous étaient familiers, comme SNCF, EDF… mais si je vous dits : AE, EARL, EI, EIRL, EURL, GAEC , GEIE, GIE, ME, SARL, SA, SAS, SASU, SC , SCA, SCI, SCIC, SCICV, SCM, SCOP, SCP, SCS, SEL, SELAFA, SELARL, SELAS, SELCA, SEM, SEML, SEP, SICA, SMHF, SNC, SPFPL, SUP, CB, VISA … Mais oui, comme vous je participe, j’ai contribué… Nous avions créé années 70/80 pour répandre de la culture en 06 dans les années 75 à 85 du siècle dernier une association, le Centre de Recherches et d’Interventions Artistiques, devenu dans l’usage, dans les textes publiés dans nos Cahiers « Atelier Création » et sur les affiches de nos interventions ou spectacles « Le CRIA ». Je criais, mais aujourd’hui ce cri est devenu cri à rien, inaudible. Et oui, je joue. Un jeuTexte. Me suis même permis d’écrire un « JeuRoman » qu’Enseigne des Oudin a osé publier. Je dirais pour ma défense qu’il est des jeux significatifs. Enfin, tout ce que je dis… Ainsi que commentait souvent George Brecht : «Ironique, non ?»

3 avril

Pour que le temps officiel invariable s’ajuste tout de même à la réalité de la rotation terrestre, on ajoute une seconde et quelques bribes à l’année — mais parait-il, il se pourrait que la variation variant bientôt inversement dans les années à venir nous devions supprimer quelques fragments de seconde… Au total au bout du bout de ma vie une minute et 27 ou 30 secondes… de plus (ou de moins) Booooffff … J’écrivais il y a au moins 50 ans dans un poème : « Un bon vers de Jean-Pierre compte pour des minutes » … compte aussi, et sans peut-être compter moins ou davantage un rayon de soleil argentant un olivier dans le soir descendant…. la vie est ainsi faite de moments aux durées non mesurables.

15 mai

Oui, j’écoute les radios, je regarde les chaines de télé… mais oui, mais oui… Qui prolongés par les réseaux dits sociaux ( Pourquoi ? Le sont-ils ?) nous racontent et commentent les mêmes événements, interprétés à droite, à gauche, vers le haut, vers le bas, trop souvent très vers le bas… Machin ou Machine avec des jumelles à l’endroit ou à l’envers, ou ont oublié ou perdu leurs lunettes ; le-la suivante scrute au microscope un lieu, un temps, en oubliant le contexte ; et puis une, deux, trois, etc… etc… qui répètent bien leurs personnelles leçons mécaniques, semblables chaque jour… Variétés guère musicales. À moins qu’elles ne soient musiques sans paroles autant que paroles sans musiques… Objectif : nous faire danser. Faire danser un troupeau de moutons doit être très divertissant.

18 mai

En 1937 des grammairiens écrivaient en préface de leur « Grammaire française classes de Lettres » : «L’usage nous impose nécessairement le vocabulaire et les règles de notre temps. » Défilent sur les ondes, sans images ou avec écrans, des présentateurs et des intellectuels que j’écoute attentivement. Des qui parlent bon français, les qui protestent contre toutes modifications de l’orthographe, contre tout changement à leur langue de Molière qu’ils disent, mais prononcent aujord’hui, voui, … Courageux et parisien, un autre grammairien de la même époque écrivait que le vrai français était ce qui se parlait dans le métro. Notons qu’on se parlait encore dans le métro ! On ne contemplait pas son téléphone. Je les entends sur les ondes (comme dans le tramway à Nice) dire « C’était quand ? Chai plus ». J’entends dire « Mainant c’est plus comme avant ». Tchaou Molière !… N’ont jamais lu en versions originales des écrits de François Villon, Michel Eyquem de Montaigne (prononcé en son temps Montagne ! ) ou de leur Saint Molière… Constat : Nous ne sommes pas seulement les champions des complications administratives. Compliquer l’écriture de notre « plus belle langue du monde » reste une marotte nationale, car faut bien torturer nos enfants à l’école comme les étrangers profiteurs afin qu’ils paient cher le prix de ce magnifique cadeau.

16 mai

J’ai pratiqué longtemps la couture de fragments en ensembles de fragments devenus (et restés) Fragment du Patchwork… Patchwork jamais fini, j’y travaille encore, sans espoir de terminer..)  réfléchir sur le fragment ne se fait que par textes de fragments de la Réflexion sur la notion de fragment(s)… on avait inventé la notion d’atome comme plus petit fragment de la matière, mais on a découvert que cet atome était composé de fragments… Je ne sais plus dans quel entretien* je disais que le monde était constitué de miettes et que nous passions notre vie à tenter de reconstituer suffisamment le puzzle pour comprendre mais… 🤔🤔🤔😰 et au bout du bout toute une série de ?????????????????? Plein de fragments qui nous échappent. Il est des notions que l’humain invente, nomme, et ne parvient pas à imaginer. Le vide, l’infini, le temps…

* Miettes : Je retrouve dans l’entretien avec Martine Monacelli, « Écrire et peindre » (Editions de l’Ormaie, 2017) ce fragment :

M. A. : « Les bouts de ficelles », liens des morceaux qu’il serait possible de nouer. Recoudre. Le monde éclate, et j’essaie d’en faire une image en reliant des images, dans le désir d’une unité impossible. Le monde est fait de miettes. Le monde est constitué irrémédiablement de morceaux mobiles. Je le présente, le montre et le mets au présent en écriture comme le tissu déchiré sera mise au présent de siècles d’icônes. Comme par les déchiRAGES — déchire et rage — seront montrées et mises en évidence avec la technique du patchwork, les cicatrices couturées sur les « Fragments du Patchwork ». Mon « Patchwork », suite de fragments de patchwork, est un ensemble ouvert à tous les fragments à venir, ouvert à l’infini, ouvert sur l’abîme.

Mais aussi, dans « L’avenir n’a pas de nom » (Ed. Enseigne des OUDIN, 2017) ces paragraphes: À son retour, il n’avait pas renoncé, il voulait toujours comprendre, mais… Pas tout comprendre peut-être, mais un peu, quelques miettes des fragments autour du moi. Comprendre ce qu’il voyait, et ce qui était ici et qu’il ne voyait pas : ces choses que les mots désignent comme des objets, et qu’on ne rencontre jamais. Des objets tels que le Paradis, – dont on parle, mais où le trouver ? – l’Amour, le Bonheur, la Fraternité, des choses semblables, nommées, abstraites, plus fines que des toiles d’araignée, encore plus fragiles certainement. « Que de bonheurs brisés mieux qu’un éclat de rire ! Possible de vivre sans, il semblerait, puisqu’il est encore des hommes vivants. » Mais vous auriez bien aimé savoir ce que ces mots désignent. Comme si tous les mots désignaient une chose bien concrète, « avec un contact, une forme, une odeur, une saveur, mou ou dur, sphérique ou conique, vanille ou lavande, sucré, tiède, aussi réel qu’un… que la délicatesse d’un sein par exemple ? »

Tout ce qu’il a fini par comprendre, c’est qu’il ne parviendrait pas à comprendre. Encore que, comprendre comment ça fonctionne, un petit bout par-ci, un morceau plus vaste par-là, nous finissons par avoir comme une idée. D’accord, pas complète, avec ici et là des trous, des hypothèses et des à-peu-près, mais, quand même, une idée générale. Très générale. « Le machin dans le bidule, que ça goupille et fonctionne, vous voyez vaguement… Mais pour appliquer, ça se complique. » Toute personne un peu observatrice aura remarqué que c’est lorsque vous êtes pressé que vous ratez la marche, que vous heurtez la racine, que la porte claque devant vous… Cependant, tant bien que mal nous parvenons à joindre les deux fragments, à avoir une idée schématique de l’ensemble. Comment ça va, on sait : ça va. Mais pourquoi ça fonctionne, alors là… Vous posez le doigt entre deux rouages, et crac le doigt. Vous découvrez la continuité de la pointe des cheveux à la pointe des orteils. Le coup au cœur. La chaleur qui envahit le visage. La sensation qu’une main à cent doigts crochus serre les entrailles. Le mou dans les genoux lorsque vous êtes tout là-haut au moment de sauter. La bouche sèche, les mots absents. Le regard vague. Les symptômes que le corps vit sa vie, et toi tu penses que tu penses ton geste. Patatras ! Au moment de courir tu t’étales. Évanouis ton humour, ton sens de la répartie, ta vitesse d’analyse, ta brillante intelligence. « L’évidence dans le cabinet noir des neurones pulvérisés au choc contre le plus obstiné et brutal mur de béton-armé qui vise à un peu de cette évidente réalité à laquelle prétendait se nourrir ta vérité limpide. » La machine patine. Adieu veaux, vaches, cochons, couronnes, adieux Rolls, … et baguettes magiques.

25 Mai

Le magazine Télérama titre « Comment les faire décrocher ». Le téléphone accroché par un fil était plus facile à contrôler, les adolescents des années 50 ont encore vécu cette contrainte. Nuance de la langue : nous décrochions LE téléphone. Nous souhaitons qu’ils décrochent DU téléphone… Histoire de temps… de conjugaison.

Marcel ALOCCO