MONACO DANCE FORUM
Comme chaque année en décembre, les Ballets de Monte-Carlo offre une exceptionnelle sélection de spectacles de danse permettant la découverte de compagnies et de chorégraphes internationaux et donnant ainsi l’opportunité de connaître l’évolution de la danse à travers des créations universellement admirées.

Cette nouvelle édition est plus que jamais axée sur la découverte, quoiqu’elle se soit ouverte sur En compagnie de Nijinsky, avec la reprise, par Les Ballets de Monte-Carlo, des oeuvres mythiques de l’inoubliable danseur : « Daphnis et Chloé », « Le Spectre de la rose », « Prélude à l’après-midi d’une faune » et « Petrouchka ». Ensuite, place à la découverte !

Seul en scène, le danseur indien Aakash Odedra présente sous le titre Rising quatre courtes pièces qui nous comblent par leur admirable beauté. Dans la première, il prouve qu’il est au monde un des meilleurs interprètes de danse Kathak en envoûtant le public sur une chorégraphie et des arrangements musicaux dont il est l’auteur. Avec de très souples mouvements des bras ou du visage, chaque expression, chaque geste semble codé de spiritualité indienne. Ensuite, ce sont trois chorégraphes de renom qui, séduits par le talent d’Aakash Odedra, ont créé des solos spécialement pour lui. Dans « In the shadow of man », sur une insolite et ténébreuse musique de Jocelyn Pook, Akram Khan le montre roulé sur lui-même, son dos seul éclairé par un rais de lumière (signée Michael Hulls) avant que tout son corps ne s’élance, dans une plastique magnifique, et ne s’affole tel un animal traqué.

Dans la chorégraphie « Cut » de Russell Maliphant, seules les mains sont éclairées, puis les bras qui s’enroulent et se déroulent sur une musique très conceptuelle d’Andy Cowton. Enfin, dans « Constellation », Sidi Larbi Cherkaoui habille la scène d’une multitude de globes lumineux, dont l’un servira à d’Aakash Odedra pour illuminer le public d’un hypnotique cercle étincelant. Assemblant à la fois danse contemporaine et traditionnelle, ces quatre chorégraphies sont réunies par un aspect magique dans l’esthétique et par une indéniable dimension spirituelle.

Oscara associe l’univers du chorégraphe de Kukai Dantza à celui de Marcos Morau, fondateur de la Veronal qui apporte un nouveau souffle à la danse contemporaine espagnole. Ensemble dans cette oeuvre, ils abordent, avec une multitude de références à la culture basque, la lutte de la vie face à la mort. Cinq danseurs et un exceptionnel chanteur, Thierry Biscary, illustrent de façon insolite l’univers médical. Dans un décor limité à un lit d’auscultation, ils montrent que, face à une maladie telle une rupture d’anévrisme, la lutte pour la survie est à la fois individuelle et collective.

Formé aux Beaux Arts, le chorégraphe Dimitris Papaioannou s’intéresse davantage à la beauté plastique qu’à la danse dans The Great Tamer (Le grand dompteur), performance qui interroge l’identité venant de la terre. Comme tout Grec, Dimitris Papaioannou a son passé enraciné dans des vestiges archéologiques. C’est sans doute ce qu’il exprime en montrant qu’il faut fouiller sous terre pour connaître l’inéluctable marche du monde et en nous plongeant dans un univers onirique qui nous poursuit au-delà de la représentation scénique. Il nous reste en mémoire des images chocs et d’autres – plus rares – apaisantes.

Tout en révélant une obsession de la mort, ces étranges images provoquent une forte émotion et sollicitent l’imaginaire. Un homme nu, au corps de chair blême, s’allonge, tandis qu’un autre le recouvre d’un linceul blanc, avant qu’un troisième ne fasse s’envoler le tissu. Cette répétition, jusqu’à mettre à l’épreuve l’attention du spectateur, incite celui-ci à mesurer le temps qui passe. Dans cet univers, les entrailles de la terre exhument racines, tombes, squelettes…

papaioannou photograph by julian mommert performer costas chrysafidis christos strinopoulos
Egalement signé par Dimitris Papaioannou, la scénographie est remarquable avec un plateau à double-fond d’où surgissent et disparaissent des hommes statufiés ou morcelés. S’enveloppant de mystère, harmonie et destruction s’associent en une diabolique alliance pour évoquer la vie en images oniriques, parfois cauchemardesques. Des effets visuels procurent des illusions d’optique qui mêlent sexe et mythes. L’enchaînement de rituels anciens et modernes, des cérémonies mythiques où tout s’associe puisque Narcisse se contemple dans l’eau, tandis qu’un cosmonaute dompte la lune et que trois Parques en longues robes noires nous ramènent à la mort. Dans la nudité de l’origine de l’homme, les dix danseurs (plutôt dix artistes circassiens) s’accrochent les uns aux autres, sans qu’aucun ne puisse sauver l’autre de sa perdition. Avec de longs moments de silence total ou de musique très ralentie du « Beau Danube Bleu » de Johann Strauss, ce spectacle muet laisse toute liberté à chacun d’imaginer une histoire, mais la beauté époustouflante de ce qui est sur le plateau peut suffire. Nourrie d’art pictural, cette performance exceptionnelle révèle une esthétique magnifique en évoquant des peintures de Rembrandt, Magritte, Millet, Le Greco, et même la Vénus de Botticelli. Les images s’enchaînent soulignant la cruauté de l’homme lors de « La leçon d’anatomie » (de Rembrandt) qui se transforme en cannibalisme festif. Ce spectacle, rare et troublant, domine la qualité de l’inoubliable sélection du « Monaco Dance Forum » de ce mois de décembre 2018 !
Caroline Boudet-Lefort