Opéra de Monte-Carlo – ARIODANTE de Haendel
Quoique fort rarement présenté sur scène, Ariodante est un des plus parfaits chefs d’oeuvre de Haendel (1685-1759), avec un musique délicate et poignante, et un argument puisé dans Orlando furioso de l’Arioste. Créé à Londres en 1735, cet opéra a attendu pas loin de deux siècles pour être enfin programmé en 2014 au Festival d’Art lyrique d’Aix-en-Provence. Grâce à une nouvelle production du Festival de Salzbourg, le public de l’Opéra de Monte-Carlo peut à son tour apprécier ce spectacle, dans une mise en scène signée Christof Loy et avec une formidable distribution de chanteurs-acteurs. Cette production offre un spectacle parfait à tous égards : d’abord les voix, toutes superbes, la mise en scène toujours en adéquation avec le propos, les décors très sobres de Johannes Leiacker et les costumes d’Ursula Renzenbrink qui mêle atours de l’époque du compositeur à des vêtements contemporains.

C’est grâce à ce drame en musique qu’Haendel accède au succès. Le livret nous transporte dans l’Ecosse du Moyen-Age. Après le premier acte où le Roi donne en mariage sa fille Ginevra et son trône au Prince Ariodante, l’intrigant Duc Polinesso se mêle de dénouer cette union en compromettant la jeune fiancée avec l’aide de sa suivante Dalinda. Ariodante projette alors de mettre fin à ses jours, tandis que, reniée par son père, Ginevra perd la raison. Au dernier acte, tout rentre dans l’ordre, tandis que Polinesso confesse sa trahison avant de mourir. Haendel traite le sujet de manière assez libre avec ça et là des pointes comiques, notamment dans les scènes d’ébriété truffées de gestes obscènes dans cette mise en scène qui dure près de 4 heures trente avec de nombreux ballets restitués dans leur intégralité. Chaque acte comporte des occasions de danses qui insufflent souplesse et légèreté au drame. Mais les mouvements n’en sont pas gratuits, ils illustrent la profondeur de la musique et le drame qui se noue.

Pour donner vie à ce sommet du bel canto handélien, cette production déploie un chant lyrique vertigineux de voix qui emportent et envoûtent. Ariodante est une des compositions musicales les plus remarquables de Haendel, ponctuées de déflagrations vocales d’une étonnante densité émotionnelle, sans les excès d’ornements chers au baroque. L’action s’appuie sur les passions et les trahisons, et les rôles demandent non seulement des voix, mais aussi des acteurs. Les héros sont attachants, magnifiés par leurs interprètes sensibles. La distribution est totalement convaincante, Cecilia Bartoli en tête. Travesti en héros masculin, elle sait mêler un humour désinvolte à son interprétation du rôle-titre, ainsi allume-t-elle avec audace une cigarette durant des vocalises périlleuses. Le public voit peu à peu Ariodante se transformer en femme (elle perd moustache et cuirasse pour terminer en robe), plaçant le spectacle sous le signe de l’ambiguïté. Le timbre opulent de la voix de basse de Peter Kalman magnifie le rôle du Roi d’Ecosse et le ténor français est parfait en Polinesso, le traître. Kathryn Lewek est bouleversante en Ginevra, sans omettre le timbre soyeux de l’incandescente Sandrine Piau en Dalinda. Les personnages vêtus de noir se détachent sur le fond blanc du décor complété d’images vidéo lorsqu’un panneau s’ouvre pour donner une illusion de profondeur avec des couloirs à l’infini ou encore une image de paysage semblable à un tableau de Constable, évocation de l’Angleterre où fut écrite cette oeuvre.

Avec des instants fragiles où les silences sont encore la musique, le tissu instrumental, dense et varié, surprend constamment par sa beauté, mais les nuances et les contrastes soutiennent la dramaturgie que déploie l’orchestre des Musiciens du Prince-Monaco, dirigé avec fougue par la baguette de Gianluca Capuano. L’ensemble est d’une simplicité très étudiée et touchante qui en fait un spectacle exceptionnel. Inoubliable !
Caroline Boudet-Lefort