Pour ses 70 ans la Galerie Chave de Vence se dédouble
Avec l’ouverture d’un deuxième espace au 12 ave Isnard, la plus ancienne des galeries sur la Côte est devenue aussi la plus belle
Une histoire de famille
Il est né à Lyon, a reçu le premier prix de dessinateur de soierie aux Beaux-Arts de sa ville et a travaillé comme décorateur. Elle est vençoise et ancienne élève de la Villa Thiole à Nice. En 1947, Alphonse Chave et sa femme Jeanne Auzias ouvrent la galerie “Les Mages” au 13 rue Isnard tout en gardant leur magasin de jouets et de couleurs. Vence est alors une petite ville de cure, réputée pour la pureté de son air et de ses eaux, où des artistes ou leurs proches viennent se soigner. Pendant des années Alphonse Chave troquera couleurs contre tableaux.

Ils ont deux fils. Jacques sera assureur d’art, un professionnel reconnu qui a en portefeuille galeries et musées prestigieux. Pierre est lithographe et éditeur. Il a découvert en 1958 l’attrait de la lithographie grâce à Dubuffet. De Pierre Chave (firme), la Bibliothèque nationale conserve 201 documents. Il commercialise ses propres impressions et celles d’autres ateliers, comme les gravures de Cécile Reims exécutées, à partir des illustations de son mari Fred Deux, à l’Atelier Moret. Alphonse Chave aime l’art. C’est un chineur. Dans les années 50-60, à côté des artistes de passage à Vence dont la réputation n’est plus à faire (Dubuffet, Michaux, Jacques Prévert, Georges Ribemont-Dessaigne, Jean Cocteau, Max Ernst, Dorothea Tanning, Man Ray…) il expose les jeunes pousses de la région et cela dès 1960-61 (Gette, César, Malaval) et toutes sortes d’irréguliers : Pepersack, le Niçois Ozenda, André Bauchant, Marthe Isely, Palanc, Gabritschevsky, Boris Bojnev, Philippe Dereux, Louis Pons, Slavko Kopac, Chaissac, Fred Deux, Manou Pouderoux, Gaby Bauzil, Gérard Eppelé. Certains feront de belles carrières. En 1975 son fils Pierre lui succède, secondé par son épouse Madeleine. Ils sont calmes, posés, tenaces. Les horaires sont respectés. La galerie qui donne sur la rue tient dans deux pièces. Du défrichage d’Alphonse, Pierre et Madeleine gardent les grands aînés et les irréguliers. Ils tournent le dos aux avant-gardes locales. Il faut dire que d’autres s’en chargent et notamment Alexandre de la Salle qui inaugure en 1967 dans sa galerie vençoise de la place Godeau la première d’une longues série d’expositions consacrées à l’Ecole de Nice. Mais ils ne s’en tiennent pas aux choix du père : le merveilleux calligraphe Michel Roux, les lacis de couleur du père dominicain Kim En Joong, les cuirs de l’Allemand Kalinowski, les fantaisies colorées de Théo Tobiasse, les boîtes du pharmacien Paul Duchein, les photographies de Michel Graniou, Omar Youssoufi font une entrée toujours aussi hétéroclite au 13 rue Isnard.

Reconversion de l’atelier de lithographie de Pierre Chave
Deux pièces c’est peu pour une si longue histoire. Il y eut des essais d’agrandissement : en étages au-dessus du 13, de l’autre côté de la rue au fond d’une impasse. Avec des marches arrière. C’est qu’en plus d’être galeriste, Pierre Chave est lithographe et éditeur. Difficile d’avoir deux métiers et de tenir à deux, avec sa femme Madeleine, trois lieux. Mais la troisième tentative est la bonne. C’en est désormais fini de l’atelier de lithographie installé dans les entrailles du 12 ave Isnard, maison à flanc de colline, qui descend par paliers successifs vers la rue de la Fontaine vieille. Des deux presses Marinoni, de six tonnes chacune, démontées et sorties par la porte du bas à l’aide d’une grue, l’une a pu être sauvée : elle a rejoint le lycée Henri Matisse de Vence. Il reste au 12 une petite presse à bras, presque un jouet. Tout a été refait à neuf : les murs, la charpente. D’origine il ne reste que le plancher. Au 12, deux espaces sur rue : une librairie et un espace d’exposition. Dans la libraire, les catalogues de la galerie, un linéaire entier sur toute la profondeur de la pièce et, en face, une vitrine avec un échantillon de livres d’artistes. Sachant que presque chaque exposition a fait l’objet d’un catalogue et que de 1947 à aujourd’hui la galerie a présenté 250 expositions, on comprend la longueur du linéaire. Au bonheur des bibliophiles : des catalogues avec des couvertures lithographiées magnifiques, épaisses et duveteuses, des peaux de papier. C’est là le travail de Pierre Chave.

On s’attarde, on s’attarde dans la première salle mais ce n’est pas là que ça se passe. Ce soir, on tire les rois : occasion de se retrouver autour du sculpteur Pascal Verbena pour écouter des lectures croisées art-poésie. Ce n’est pas non plus dans la pièce à côté que ça se passe, dans cette salle d’exposition où Verbena montre des polyptiques, construits avec des bois flottés, et de très beaux dessins marouflés sur une âme de bois. Ca se passe en bas dans un magnifique espace double, deux salles avec un décroché de niveau sous une imposante charpente. L’espace supérieur a été cinturé par deux très longs bancs, des bancs d’église. Tout est clair, dans des tons de beige, dans des tons d’un beau papier. On est pris d’une sensation de satiété. Satisfaits, rassérénés par tant de beauté, heureux. Il reste encore à l’étage inférieur les archives de la galerie : stocks de catalogues, affiches et autres lithographies parfaitement rangés. On descend donc par trois paliers successifs dans les entrailles de l’histoire que les Chave ont entretenue avec l’art. Une histoire unique sur la Côte par sa durée, la diversité de ses approches (marchands, lithographe, éditeur, experts…) et son magnifique épanouissement, à 70 ans passés. On parle de succès souvent pour le qualifier de facile et l’associer à la chance et d’une belle réussite pour l’attribuer à la personne elle-même et à sa détermination. Il y a souvent dans le succès quelque chose de vif et d’éphémère et dans la réussite l’idée d’une construction. Et la plus belle des réussites est très souvent la somme des milliers d’efforts, de sacrifices, de choix difficiles et exigeants qui, mis bout à bout, tracent un chemin unique.

En répondant à l’invitation pour une galette des rois, je ne m’attendais pas à ce que j’ai trouvé : le spectacle d’une magnifique réussite. Oh nous n’étions pas des mille et des cents. Un petit cercle d’amateurs autour du sculpteur Pascal Verbena : des poètes, des Vençois, des passionnés d’art insolite, quelques administratifs. Mais je crois que nous étions tous estomaqués et d’ailleurs, en sortant, beaucoup remerciaient Pierre et Madeleine Chave. Ils ne les remerciaient pas pour le morceau de galette mais pour tout ce qu’ils avaient fait pendant 60 ans et qui tout d’un coup nous sautait aux yeux. La plus ancienne des galeries sur la Côte est désormais aussi la plus belle.
Par Agnès de Maistre
Programme : L’exposition Pascal Verbena est transférée à la Ferme des Tilleuls, route de Lausanne, 1020 Renans (Suisse) du 21 février à la fin mai 2019
Actuellement à la Galerie Chave 13, ave Isnard à Vence : artistes de la galerie Max Ernst, Eugène Gabritschevsky, Isabelle Jarousse, Pascal Verbena.
Et au 12 ave Isnard, à partir de fin février , Amandine Rousguisto.