Tapiézo, peintre de la sérénité
Tapiézo, un nom d’artiste qui sonne doux aux oreilles. Le carton d’invitation qui figure « l’élévation cosmique sur toile » invite également à plonger dans l’univers chaleureusement coloré du peintre. Je décide donc de franchir les portes mythiques du Fouquet’s qui accueille l’artiste pour une soirée unique et d’aller à la rencontre de ses toiles monumentales.
Au premier regard, la matière vous prend. On est saisi par le rendu de ses techniques mixtes – acrylique, sable, bois, pigments et grille d’acier – ainsi que par l’harmonie des couleurs, la verticalité des œuvres et leurs symboliques mystérieuses. Technique du XVIIe siècle revisitée par l’artiste pour une grande liberté d’assemblage. L’artiste apparaît, d’un abord franc, attentif à répondre aux questions de ses nombreux visiteurs.
Quelques commentaires – ceux des invités et les siens – tournent tous autour de la sérénité que procurent ses œuvres. Je lui vole quelques instants pour savoir ce qui l’a amené à exposer dans ce salon, certes luxueux et chargé d’histoire mais incongru au regard de ses grands formats. C’est un hasard, une rencontre et une chance. Il était à la recherche d’endroits novateurs, une habitude prise depuis qu’il s’est lancé dans l’aventure d’expositions dans des gares, notamment celles de Paris-Vaugirard, Montparnasse et gare de l’Est. Son idée : les transformer en espaces culturels pour faire vivre ces lieux autrement. Puisqu’il propose ses œuvres en location dans les entreprises, le Fouquet’s, lieu de rencontres privilégié avec des entrepreneurs, lui a semblé approprié pour exposer un choix de toiles en harmonie avec ce cadre.
Je décide de creuser d’autres aspects de son travail. Rendez-vous est pris plus tard dans un tout autre décor… Un petit bar de quartier, alternatif, à Belleville…
AM. : L’aboutissement de vos œuvres est-il le fruit d’un travail maintes fois remanié ?
T. : Mon travail est spontané, sans souci de résultat. Je laisse faire. C’est un perpétuel recommencement entre construction/destruction. Je peux faire plusieurs toiles à la fois ; la toile est libre, moi aussi. J’aime la poésie des pigments. C’est un travail sur la sérénité et l’harmonie.
AM : Aviez-vous ce talent dès votre plus jeune âge ?
T. : Un concours scolaire remporté en 1962 en Bourgogne et Franche Comté m’a permis l’entrée aux Beaux-Arts de Dijon à l’âge de onze ans, comme candidat libre, car trop jeune pour m’inscrire comme élève. C’est important de faire ses gammes. Ensuite, quand, pour être exposé, j’ai dû me plier au rite des vernissages, j’ai éprouvé une grande réticence. Je ne supportais pas d’être jugé. Alors la vie m’a mené vers d’autres aventures, une multitude d’autres métiers.
AM : Bien qu’éloignés de vos premières amours, ces jobs ont dû être formateurs car vous êtes revenu à la création ?
T. : De manière détournée. J’ai débuté avec des collages de papier découpé dans Télérama. Et là, on est venu me chercher : on m’a passé commande de 20 pièces pour une exposition personnelle. L’aventure commençait ! J’utilisai des cagettes de fruits fixées sur un support bois que je déstructurais pour créer un idéogramme.
AM : Le grillage, très présent sur vos toiles, a-t-il une signification symbolique ou est-il avant-tout un élément esthétique ?
T. : Oui, très symbolique ! Comme un cahier d’école, chaque case reçoit sa lettre ou son silence. Là aussi, c’est comme une écriture. Désencombrer le conscient et l’inconscient prend des années avant de trouver son propre langage. Lorsque vous avez votre alphabet mental, tout peut aller très vite. La toile Elytre d’Or a été conçue en quelques jours.
AM : Vous semblez vivre votre peinture comme une thérapie ? Est-ce pour cette raison que vous avez développé un concept artistique et pédagogique auprès de publics que l’on dit en difficulté ?
T. : L’art détient un potentiel remarquable, admirable pour la société. En Italie par exemple, l’art est plus facilement palpable. Il est dans toutes les maisons. Mon idée était de remettre l’humain au cœur de la peinture, redonner cette considération humaine qui fait tant défaut. Au départ, c’était pour canaliser la violence. Puis, j’ai compris par des actions à l’étranger, que ce projet m’amenait plus loin.
AM : Concrètement, qu’avez-vous proposé ?
T. : Je propose 3/4 jours de peinture. On communique sur l’atelier dans les médias et un vernissage présente aux familles les merveilles réalisées. Une revendication de la réussite avec un lien social ! Chacun repart avec ses propres créations.
Une pédagogie simple pour ne perdre personne . La mise en scène, hors norme, induit un succès sans faille ! On part de deux éléments opposés : le sable, le solide et la peinture, le liquide. Ces deux éléments s’unissent par brassage. Cela réussit à chaque fois. Prenons le cas d’une école : un premier enfant guidé sert de modèle ; parce qu’il a le droit de se tacher, de renverser, les verrous sautent. Tracer dans cette pâte permet l’effacement, le droit à l’erreur. C’est chaud et rigolo et c’est une sensation universelle. Du coup, les autres participants se lâchent tout en étant canalisés. La première phase dure 45 mn. Puis c’est le temps du collage papier. Toujours deux éléments opposés qui vont s’unir, le vide et le plein. On dessine les silhouettes des uns et des autres et on remplit celles-ci de collages papier. Deux heures durant, ils n’auront pas dit un mot. Place à l’imagination ! La contrainte du langage crée souvent de la violence.
Mon travail est un sas de décompression. L’arthérapie est une démarche qui induit une réussite manuelle, au potentiel énergétique insoupçonné. Quand on met de l’action, on rentre en création. Quel que soit l’individu, il y a une étincelle à chercher. Les enfants sont eux aussi en quête d’harmonie, de quiétude. Les enfants décrocheurs comme on les appelle aujourd’hui en sont exclus. Cette démarche contribue à les réinsérer dans leur scolarité car tous ses effets sont transposables.
Ce qui m’intéresse, c’est de semer les graines, ouvrir le potentiel des gens. L’art est une mise à distance de ce que l’on est. C’est bon à la fois pour se canaliser mais aussi pour évacuer. Un exutoire, un voyage. Ma volonté est d’aider à remotiver et à décompresser dans un concept créatif en totale liberté. Sous un aspect récréatif se joue une partie bénéfique géniale totalement structurante et reposante dont l’enfant est l’acteur lui-même. C’est un bon moyen de combattre le stress des établissements scolaires, aussi bien pour les enseignants que pour les élèves.
AM : Avez-vous conçu ces ateliers de façon empirique ou le concept a-t-il été gardé dans sa forme initiale ?
T : Mes premières expériences furent chaotiques et chahutées car non théorisées. Les enfants, éclaboussés de peinture, s’éclataient, mais les parents qui venaient les chercher hurlaient ! L’activité n’étant pas cadrée, j’ai mené une réflexion pour donner un contenant au contenu et avancer avec méthode dans un espace (ré)créatif où tout est suggestion. Aujourd’hui toute la démarche est protégée, ludique et évolutive. Les barrages m’ont aidé à construire cette démarche. Le secret de la réussite de ces ateliers est de se taire. Le message est intégré à la mise en scène. Laisser place à l’imaginaire de chacun prendre SA forme !
A Ostende, j’avais affaire à un public étranger. En 5 mn d’atelier, ils étaient aux anges et seraient restés avec leurs créations pendant des heures. Le moment du vernissage réunissant les élèves, l’école, les parents fut une révélation pour tous. L’exposition a permis de sublimer les œuvres. Une semaine enrichissante pour tous…
AM : Votre formule semble magique. Avez-vous pu multiplier l’expérience pour en faire profiter le plus grand nombre ?
T. : L’imaginaire, pour peu qu’on le laisse s’exprimer, est magique ! Malgré la simplicité d’un concept accessible et garant d’un succès jamais démenti, je trouve rarement écho auprès des psychologues de l’éducation nationale ou des travailleurs sociaux, plutôt frileux quant à l’expérience thérapeutique par l’art.
AM : En attendant de poursuivre votre route sur les chemins de l’école buissonnière, quels sont vos projets personnels ?
T. : L’espace Cardin m’accueille du 15 au 17 octobre. Je prépare deux œuvres monumentales en mouvement sur la thématique du Nu. Elles tourneront sur elles-mêmes et l’on pourra les toucher. Avoir le droit de toucher, d’accéder à l’œuvre, c’est sortir de l’interdit. Le mouvement, c’est la liberté, la sensualité.
C’est une surenchère à la beauté. Je peux reprendre une toile déjà exposée. Je peins à l’extérieur, j’ai besoin d’air, d’espace et de lumière. C’est dans cette ébullition que naît la création. Je me déplace pour peindre. Le déplacement crée le mouvement… le mouvement est l’harmonie.
Je m’approche de la vérité quand je suis en quête d’harmonie.
Souhaitons à Tapiézo une aventure poétique et intemporelle toujours renouvelée qui saura séduire ceux qui rêvent d’« un autre monde »…
par Aurèle M.
Retrouvez ses œuvres sur : www.tapiezo.com
Et sa démarche www.demarche-tapiezo.com
(c) Tapiézo