TNN LEWIS VERSUS ALICE Un spectacle de MACHA MAKEIEFF
Il faut avoir gardé son esprit de l’enfance pour apprécier totalement le spectacle proposé par Macha Makeïeff. Sérieux s’abstenir ! Ici tout est loufoque et farfelu ! Il y a de l’imagination de la belle image, mais aucune facilité pour la compréhension de plusieurs textes entremêlés de Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles, De l’autre côté du miroir, La Chasse au Snark…).
Personne n’est au clair avec l’univers fantastique et surnaturel de Lewis Carroll, indocile avec les strictes conventions victoriennes. C’est un monde trouble où tout fluctue et s’inverse, où les éclats de rêves se succèdent sans cohérence. En faudrait-il ? Qu’y a-t-il de cohérent dans le rêve ? Le théâtre devrait-il s’en tenir à la réalité ? Elle est déjà bien assez encombrante dans la vie… Aussi la logique n’a-t-elle pas de rôle dans ce spectacle.
D’emblée l’enchanteur décor séduit et on pense au théâtre magique de Bob Wilson. On est ici entraîné dans un univers onirique accentué par de féeriques éclairages, signés Jean Bellorini, maître en la matière, et par les superbes masques de Cécile Kretsmar. Aussi, avec un regard qui n’appartient qu’à elle, Macha Makeïeff nous offre-t-elle un fascinant spectacle qui ne semble pas avoir totalement séduit tout le public resté sur sa faim pour peu qu’il ne soit pas à l’aise avec la langue anglaise. Sans doute, bien des scènes lui échappent au niveau de la compréhension pour ne pas avoir révisé l’oeuvre et la biographie de Lewis Caroll avant de venir. (Se souvenait-il qu’enfant d’une nombreuse fratrie, il était fils de pasteur et lui-même clergyman ?) Un public, resté extérieur à l’univers du célèbre auteur britannique, sait-il qu’aimant trop photographier les petites filles, le vieil auteur, un peu siphonné, aurait bien des ennuis aujourd’hui, à l’époque de #Me Too ? Une allusion y est faite dans la pièce.
La magnifique voix de Rosemary Standley entraîne chaque spectateur sur le chemin magique de cet univers fantastique et énigmatique où il s’agit de représenter le rêve sur scène. Tandis que six excellents comédiens se partagent tous les rôles avec talent. Ils parlent, se contredisent, se houspillent, chantent, dansent, jouent du banjo ou de la mandoline. Il y a deux Alice, elle-même et son double, dans d’identiques robes à fleurs bleues.
Poète du nonsense, apprécié des surréalistes pour ses décalages de mots et ses poétiques énigmes, truffées d’inepsies jouissives et de folies imaginatives où surgissent le chapelier fou, le chat du Cheshire et les autres dans une « mad tea party », Lewis Caroll choisit le rêve plutôt que la réalité. Ainsi, avec également des mots-valises, La Chasse au Snark a la même puissance comique que Alice au pays des merveilles.
La mise en scène, les costumes et le décor de Macha Makeïeff sont magnifiques, avec une poésie onirique qui correspond à l’univers de Lewis Carroll. C’est sûr, embarqués dans un joyeux délire sans chercher à comprendre, nous nous sommes baladés durant deux heures au pays des merveilles !
Caroline Boudet-Lefort
Lewis photo P. Victor